L’exécrable trajectoire
Durant les années 1960, les Algériens étaient, à quelques rares exceptions, tous pauvres. S’ils étaient plus pauvres qu’aujourd’hui, ils étaient fiers de leur pays, fiers de lui appartenir. Quand ils parlaient de la RADP, ils disaient «dawlatna».
Quand ils évoquaient le gouvernement, ils disaient «houkoumetna». L’Etat se tenait à l’écoute des Algériens et veillait à leur assurer vaille que vaille, mais le plus équitablement possible, l’essentiel. Les ministres prenaient leurs couffins et faisaient le marché tout comme les zwawla. Tous payaient la belle tomate à 20 centimes.
Bouteflika pouvait alors aller en toute sécurité s’intégrer aux jeunes concitoyens sur les plages pour y jouer au ballon. La dawla, la houkouma et le peuple vivaient en symbiose et faisaient un. Malheur à celui qui osait dénigrer l’Algérie, ses dirigeants ou même émettre ne serait-ce qu’une critique microscopique sur le «parfum» de son oued El-Harrach.
Puis, le pétrole aidant, l’Algérie commença à prendre d’autres allures. On commença à la percevoir différemment, les uns virent en elle un gâteau appétissant, les autres la regardaient comme une vache à traire ! Et il y eut octobre 1988 et l’officialisation de la cassure. Ce n’était plus «dawlatna» et «houkoumetna». Inconsciemment, nos populations rectifiaient leur langage.
Désormais, on revenait à l’ancien vocabulaire et au terme «beylek» pour designer l’Etat, tandis qu’on se contentait du vocable inodore et incolore de «dawla» lorsqu’il est question du gouvernement. Les émeutes entraient spectaculairement dans les mœurs algériennes et avaient une chose en commun : dans leurs attaques, les émeutiers ciblaient, partout, les symboles de l’Etat.
On ne pouvait affirmer que le divorce des Algériens avec leur Etat était intégral, mais il y avait séparation de lits… d’oued. Les gouvernants évoluaient dans un oued, les gouvernants dans un autre, comme le raconte si bien le génie populaire. Puis il y eut le faux démarrage de 1989 et l’«overdose» démocratique qui coûta à la nation une imposante régression avec plein de tombes.
Mais à quelle conclusion peut-on arriver aujourd’hui lorsqu’on voit que la violence des manifestants ne se tourne plus contre le seul beylik mais qu’elle englobe désormais les biens des particuliers. Une violence qui donne l’impression de ne pas faire de distinction et qui touche jusqu’aux familles, comme à Berriane, et aux zwawlas, comme à Oran, dans une logique encore impénétrable.
La violence se généralise, se vulgarise et s’arrange pour ne bourlinguer que dans des villes du pays hautement sensibles. Bien que sa nuisance n’épargne plus personne, la violence n’est contrée ni par les partis politiques ni par le monde associatif. Une lacune qui n’a pas manqué d’être relevée à sa façon par Me Ali Yahia Abdennour dans son dernier écrit.
«La relation directe entre le pouvoir et les Algériens écrase tout ce qui est entre les deux : Parlement minoré, corps intermédiaires, partis politiques, syndicats autonomes, associations, qui servent de relais. Le résultat est que l’histoire récente de notre pays est chargée d’émeutes», observait-il. Des émeutes qui ne sont pas tellement spontanées, se laisse dire M. Yazid Zerhouni.
Mohamed Zaâf