PÉTROLE : 150-200 dollars le baril
Ce qui, hier, paraissait improbable, voire fantaisiste, se réalise aujourd’hui sous des yeux encore incrédules. Le prix du baril de pétrole brut dépasse les 130 $ et les experts les plus sérieux prévoient entre 150 et 200 $ le baril d’ici à la fin de l’année 2008. Le milliardaire américain T. B. Pickens, grand pétrolier s’il en est, prédit un baril à 150 $ d’ici la fin 2008.
«85 millions de barils par jour c’est tout ce que le monde peut produire et la demande est à 87 millions. C’est aussi simple que cela !». Il faut rappeler que cette tendance haussière dure depuis dix (10) ans et c’est un record, dans la durée, d’une hausse continue. Pourquoi cet emballement : 100 dollars en début d’année, 130 dollars moins de 6 mois après. En dehors de la spéculation boursière des traders qui interviendrait pour 10 à 15% dans la hausse des prix, plusieurs facteurs conjoncturels mais aussi des cause plus structurelles expliquent la hausse des prix pétroliers.
En premier lieu, la récession de l’économie américaine que les prévisionnistes attendaient n’a pas eu lieu malgré la crise des subprimes. De plus, le dollar américain n’arrête pas de se déprécier : exprimé en dollars, le prix du baril augmente. Mais fait plus significatif encore, cette perte de valeur de la monnaie américaine pousse les fonds spéculatifs vers les marchés des matières premières et bien sûr le pétrole, alimentant ainsi la tendance haussière de la demande.
Enfin, et toujours dans ce chapitre des facteurs conjoncturels, des menaces pèsent sur la production de certains pays producteurs comme le Nigeria ou les incertitudes sur l’Iran. Mais cette flambée du pétrole s’explique aussi et surtout par les fondamentaux. La demande des pays émergents est toujours robuste et les spécialistes confirment même que la demande de la Chine est sous-estimée.
Et dans les prochaines années, la demande restera vive. En second lieu, la capacité de production des raffineries notamment américaines reste limitée et cet été risque d’être encore plus chaud pour le marché pétrolier mondial. Sont invoqués aussi les problèmes de pénurie de main-d’œuvre qualifiée et de matériels de pointe que rencontrent les nouveaux investissements, plombant ainsi l’offre. Les experts insistent sur la hausse des coûts des projets qui ont doublé entre 2005 et 2008 et affirment même que «ces coûts sont devenus un des nouveaux fondamentaux orientant les prix du pétrole».
La flambée des prix pétroliers n’est pas près de s’éteindre puisque les prévisions d’offre et de demande pour les prochaines années ne vont pas dans le sens d’une accalmie. La revue L’Expansion de ce mois de mai reprenant les conclusions d’une étude récente, écrit : «Les pays membres de l’Opep produiront en 2012 cinq millions de barils par jour supplémentaires. Mais il est établi que la production mondiale ne dépassera jamais 100 millions de barils par jour (87 aujourd’hui) alors que la demande pourrait potentiellement grimper à 120 millions de barils dans les 20 ans à venir.»
Même prévision de la part du DG de Total Ch. de Margerie qui répète qu’il sera très difficile de dépasser le seuil des 100 millions de barils. Ce déséquilibre offre-demande se traduit déjà par les anticipations de prix sur les contrats futurs (2016) qui atteignent 140 dollars. Les opérateurs économiques intègrent désormais dans leurs analyses un pétrole supérieur à 100 dollars. «Ce qui reflète un changement de perspective historique», écrivent Daniele Licata et Sebastien Julian ( L’Expansion) «Du jamais vu de mémoire de trader» renchérit J. M. Bezat.
Bien évidemment, dans le domaine pétrolier, il n’y a pas de certitude : les prévisions subissent tellement d’imprévus : spéculation, risques sécuritaires, pannes techniques… mais le trend est haussier et les analystes sont, sur ce point au moins, tous d’accord. Bien évidemment pour l’Algérie, c’est la bonne nouvelle.
Ou plus exactement pour les finances algériennes. Nous savons maintenant en Algérie qu’il faut s’inquiéter chaque fois que les contraintes de crise économique s’éloignent. Les Algériens sont imaginatifs, créatifs sous contraintes et seulement sous contraintes. Lorsque les caisses sont pleines, nous avons tendance à vivre… facile : les réformes s’arrêtent, la rigueur dans la gestion s’estompe, le recours à l’extérieur augmente.
Certains économistes soulignent même qu’un pays pétrolier, un pays à rente pétrolière est condamné au non-développement, le pétrole étant un grand soporifique. En sachant déjà que des pays pétroliers comme les USA, la G-B ou encore la Norvège ont réussi leur développement, l’expérience algérienne pleine d’espoir, des années 1970 où «l’on servait son pétrole» dans l’industrialisation du pays, le développement du système éducatif et universitaire, la modernisation des infrastructures de base constitue un épisode qui dément ce «syndrome hollandais», auquel on fait référence pour expliquer le non-développement des pays pétroliers.
Le taux d’investissement de l’époque, l’un des plus élevés au monde, était financé par le pétrole. Et le non-aboutissement de l’expérience algérienne des années 1970 ne s’explique certainement pas par ce syndrome : l’aventure du développement a été pervertie par d’autres causes et pour d’autres raisons et le pétrole a été vécu durant cette période comme un atout pour se développer.
L’expérience irakienne des années 1980 a montré aussi de son côté que le pétrole n’était pas une malédiction, que l’arrêt du processus de développement économique de l’Irak est à rechercher ailleurs que dans la perversion pétrolière. Au contraire et grâce au pétrole, l’Irak mettait en place une économie robuste et dynamique. Mais dire que le pétrole n’est pas, en soi, une malédiction, ne suffit pas pour en faire un atout.
Dans le cas de l’Algérie, la société tout entière est en attente d’une stratégie d’affectation productive des ressources procurées par le pétrole pour les quinze années à venir. Ce qui est fait aujourd’hui, à l’exception des programmes d’infrastructures de base en réalisation, n’a pas de cohérence : l’agriculture suit une logique qui n’a aucune connexion avec ce qui est envisagé dans l’industrie.
D’autre part, le développement du capital humain, cette ressource indispensable pour toute aventure de modernisation de l’économie, accuse un grand retard. Enfin et pour ne citer que ces quelques secteurs, l’économie fondée sur la connaissance (EPC) avec ses quatre piliers : (éducation, innovation, TIC et climat des affaires) doit progressivement émerger dans notre société. C’est tout cela qui permettra à l’Algérie de démentir le «syndrome hollandais».
Abdelmadjid Bouzidi