Point d’envol

Réelle, ou foncièrement mythique, la superbe Andalousie de l’ère classique continue d’exercer son charme sur les hommes de lettres. Déjà, le romancier allemand Thomas Mann (1875-1955), n’avait pas trouvé mieux que de porter en bandoulière un peu de sa vieille Europe, dans sa traversée de l’Atlantique en direction de l’Amérique, en 1933. Il fuyait alors la botte hitlérienne, et les onze jours que devait durer cette traversée, ont été meublés par la lecture de Don Quichotte de Miguel de Cervantès (1547-1616).

Déjà au sommet de sa gloire littéraire, Thomas Mann ne pouvait que retourner dans sa belle tête la menace guerrière qui commençait à peser sur l’humanité entière avec l’arrivée du nazisme au pouvoir. Ce ne fut donc pas une réflexion sur la philosophie classique allemande, encore moins sur la pensée ontologique de Martin Heidegger, qui était alors le ponte de la philosophie allemande, mais, c’était, surtout, cette Andalousie qui, à ses yeux, constituait le véritable point d’envol de la modernité occidentale, d’où son choix de Cervantès, et à travers celui-ci, de l’Espagne classique.

Avant lui, l’andalou par excellence, Lissan Eddine Ibn Al Khatib, (1313-1374), devait, lui aussi, quitter sa terre natale pour faire la traversée de la Méditerranée en direction de Fès, au Maroc. Il se devait de sauver sa peau, et, au cours de cette traversée, somme toute définitive, il s’était mis à méditer sur le sort de toute l’Andalousie, livrée alors aux manigances de quelques roitelets et aux guerres de reconquête. Il mit, en cours de route, un point final à sa célèbre monographie sur la ville de Grenade, celle qui allait disparaître dans les brumes de l’histoire.

La nostalgie, il faut le dire, était pour beaucoup dans ce travail exceptionnel. La traversée de l’Atlantique par Thomas Mann donna naissance à un des plus beaux textes de la littérature moderne, un texte touffu, plein d’espoir et d’amertume à la fois, puisque le nazisme prenait racine dans le pays de Beethoven, de Kant, de Hegel et de tant d’autres génies de la civilisation occidentale.

Il ne devait revenir en Allemagne que vers la fin de sa vie, en 1955. Si l’on en croit ces biographes, Lissan Eddine Ibn Al-Khatib, avait écrit la plupart de ses livres lors de ses crises d’insomnie. Le chaos politique régnant alors dans toute l’Andalousie ne lui permettait pas le luxe de mener un travail méthodologique. Cela se constate à travers sa production intellectuelle foisonnante qui allait de la poésie à la philosophie, de la jurisprudence à l’histoire.

En effet, il dut écrire par à coups, ou encore par bribes, sans toutefois sacrifier à une certaine rigueur scientifique. Sa monographie sur Grenade, la ville où il vit son génie créateur s’éclore et s’épanouir durant quelques décennies, fait encore autorité en ce qui concerne la présence musulmane en Andalousie du septième au treizième siècle.

L’Andalousie, par delà l’histoire et la géographie, avait réuni ces deux Européens de naissance, aux antipodes l’un de l’autre, mais pour vaquer, chacun, aux choses d’un avenir meilleur. Comme quoi, les choses de l’esprit, typiquement andalouses, sont faites pour enjamber l’espace et le temps.

Merzac Bagtache

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