La nouvelle religion du monde

Selon l’agence Reuters, les autorités financières des grandes puissances économiques du G 7 réunies ce week-end se sont donné «100 jours pour assainir le capitalisme» et «le purger des excès qui ont causé la crise actuelle des marchés financiers».

C’est, le plus sérieusement du monde, une recommandation du Forum de stabilité financière (FSF), un organisme créé à l’initiative du G7 en 1999 qui engage les autorités de tutelle à relever les critères de fonds propres et intime aux banques de révéler l’étendue réelle de leurs pertes dans leurs comptes du premier semestre — les invitant ainsi à plus de transparence. Il s’agit, selon le patron du FSF, Mario Draghi, de débarrasser les marchés financiers des «incitations perverses», responsables de la flambée puis du marasme du crédit.

La recette miracle contre de telles «perversions » ? «Un meilleur équilibre entre discipline de marché et réglementation, un meilleur équilibre entre efficacité et innovation et réserves et stabilité» dans le système financier. Vecteurs du nouveau libéralisme, les banques sont, elles, confrontées à un dilemme : elles veulent bien que les pouvoir publics les aident à se désembourber mais elles craignent que le prix à payer soit une réglementation plus tatillonne. L’idée émise par les autorités de régulation est d’aboutir à une «meilleure réglementation» qui apprivoisera le cycle de la peur et de l’appât du gain et encadrera l’innovation financière.

En un mot, rétablir la confiance dans la nouvelle religion des temps modernes : le capitalisme que l’économiste français Maurice Allais décrit admirablement dans un écrit qui date déjà (de 1954) : «Toute situation d’équilibre d’une économie de marché est une situation d’efficacité maximale, et réciproquement, toute situation d’efficacité maximale est une situation d’équilibre d’une économie de marché.» L’éden. Depuis, tous les économistes ont oublié cette maxime instructive d’Oscar Wilde : «La vérité pure et simple est rarement pure et jamais simple.» Comment, en effet, peut-on résister à ce qui relève désormais du sacré ?

Christian Laval, historien de la philosophie, publiait chez Gallimard, il y a un an L’Homme économique, avec pour sous-titre «Essai sur les racines du néolibéralisme », dans lequel il définit le néolibéralisme économique, comme «une conception d’ensemble de l’homme, une anthropologie, un véritable socle sur lequel sont toujours assises nos représentations ».

Des représentations consensuelles construites sur une conception utilitariste et une logique de l’intérêt qui ont fait table rase des valeurs morales, qu’elles soient d’origine religieuse ou de traditions sociales. Il rappelle que les choses ne datent pas d’aujourd’hui et qu’elles remontent à loin en arrière, plus précisément au XVIIe siècle lorsque la notion de bien commun, forgée par le cosmos grec d’Aristote et dont l’univers chrétien de Saint Thomas d’Aquin a fait la pierre angulaire de la société du Moyen Age, donc lorsque le bien commun a abdiqué devant l’utilitarisme et l’intérêt.

Ces nouvelles valeurs qui dominent sans partage n’ont, au demeurant, rien d’un corpus scientifique consacré permettant de s’appuyer sur des lois universelles justifiant le recours au libéralisme économique comme une organisation optimale et efficace. Dans Un autre monde. Contre le fanatisme du marché, et dont nous avons déjà longuement rendu compte ici même de façon récurrente, Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie, souligne que «les fondements intellectuels du fanatisme du marché ont été détruits», même si «des éditorialistes et d’autres faiseurs d’opinions — même, à l’occasion, une poignée d’économistes — invoquent parfois encore la «science» économique à l’appui de leurs positions».

Dans le langage économique aujourd’hui en vogue, une politique respectable est une quête permanente pour «restaurer la confiance» et tempérer «l’exubérance irrationnelle des marchés». Cette confiance est à la rhétorique libérale ce que «abracadabra» est à la caverne d’Ali Baba : un motvalise pour accéder à la félicité suprême. Au-delà des présupposés apologétiques néolibéraux, trois grands acteurs font, depuis le milieu des années 1990, la pluie et le beau temps en termes d’emploi et de croissance : les technologies de l’information, l’immobilier, les investissements industriels. Les deux premiers sont centrés sur les Etats-Unis, le troisième ailleurs dans le monde, notamment en Asie.

Le boom des nouvelles technologies a pris fin en 2000 et aucun autre secteur de pointe, comme les biotechnologies, ne semble pouvoir susciter la même «exubérance». Le relais pris par le boom immobilier est en fin de parcours, après avoir provoqué une hécatombe financière évaluée à 500 milliards de dollars. Les investissements industriels en Asie prennent du poids dans l’aile : avec un dollar faible et la crise immobilière, exporter vers les Etats-Unis est de moins en moins rentable. Le schéma keynésien est ainsi orphelin de sa demande globale additionnelle.

Il trouve, certes, bonne application aux Etats-Unis où la dévaluation du dollar favorise les exportations et la demande, mais éprouvé à l’échelle mondiale, il aboutit à un jeu à somme nulle. Bien mieux, la quête de nouveaux consommateurs semble vaine. Faute de quoi, une faune de spéculateurs a vu le jour. Les fonds spéculatifs, échaudés par la crise des papiers douteux, se sont réfugiés dans les matières alimentaires. Sur le marché de Chicago, en un an, les cours du maïs ont été multipliés par 1,6 et ceux du blé et du riz ont triplé.

Les pénuries actuelles de denrées alimentaires sont du pain bénit pour les fonds spéculatifs. Ils les entretiennent même. Qu’importe que la hausse accélérée du prix des céréales provoque des situations de famine dans une quarantaine de pays du monde où les disettes des pauvres provoquent des émeutes pour le blé, des guerres de farines, etc, avec leur lot de répression. L’issue fatale est toujours : engrossez les riches, les pauvres finiront bien par profiter de leur rot : tel est le sens du mot confiance dans le langage libéral.

Au-delà des populations les plus démunies, les plus pauvres des Etats l’apprennent à leurs dépens : même l’argent qu’ils empruntent concourt à leur appauvrissement. Ainsi, en dépit des inquiétudes du Fonds monétaire international, de la Banque mondiale ou du Club de Paris, des fonds vautours agissent à leur guise et menacent de dépouiller, pour un montant de 1,8 milliard de dollars, les pays en développement bénéficiant d’allègements de dettes.

La stratégie de ces fonds d’investissement privés est de racheter à très bas prix des créances sur des pays pauvres pour ensuite les poursuivre en justice afin d’obtenir le remboursement de l’intégralité des créances nominales majorées des intérêts de retard ; rendant ainsi inefficaces les maigres allègements de dettes consentis par les pays riches. Les fonds vautours ont déjà mis la main sur près d’un milliard de dollars à l’issue de décisions de justice. La dernière en date a été rendue en avril 2007 par la Haute Cour de Londres qui a condamné la Zambie à payer au fonds Donegal 17 millions de dollars pour une créance rachetée en 1999 à seulement 3 millions de dollars.

Actuellement, pas moins de quarante procédures ont été déclenchées contre vingt pays essentiellement en Afrique mais aussi en Amérique latine. La pauvre République démocratique du Congo totalise à elle seule huit actions en justice dont cinq ont déjà débouché sur une condamnation de l’Etat congolais. Autre exemple, le fonds américain Kensington réclame devant les tribunaux américains 400 millions de dollars au Congo Brazzaville pour une créance rachetée à 10 millions de dollars. Voilà en quelques lignes les grands préceptes de la nouvelle religion du monde qu’aucun des trois Livres révélés ne semble capable de juguler. Pour l’instant.

Ammar Belhimer

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