Le cercle vicieux
Plusieurs fois, le baron de la drogue a été arrêté. À moins que ce ne soient plusieurs barons. Il est probable qu’après les narcotrafiquants, des narco-cultivateurs soient déjà arrêtés, tant les découvertes de plantations de pavot et de cannabis se bousculent. On a peut-être arrêté des exploitants de narco-haciendas du Sud.
Jusqu’ici, on s’émouvait de ce que la consommation de stupéfiants se soit démocratisée au point de se vendre dans les cours d’école. En fait, ils se vendent dans des lieux que peuplent de plus adultes et honorables corporations qu’on ne devrait pas soupçonner d’activités si infamantes. Mais pour ne point heurter les susceptibilités catégorielles et éviter leur ire devant quelque insupportable accusation, disons que les drogues sont à peu près partout disponibles. Et même si les dealers n’ont pas de cartes de visite, ils ont des numéros de portable qui aisément s’échangent. Il n’est pas loin le temps où l’on se plaignait d’être devenu une route de transit, exaltant la vigilance des services de répression du trafic à chaque prise opérée à une frontière du pays. Pour le moment, et ne sachant ce que représentent, en termes de production narcotique, tous ces champs de coquelicots et de cannabis dénichés, on ignore encore la place gagnée par le pays dans la production narcotique mondiale. Mais en tout état de cause, voilà un domaine où nous semblons procéder à une rapide mise à niveau. L’agriculture du Sud a toujours été présentée comme prometteuse, mais du fait de l’attrait de l’argent facile du trafic, apparemment notre avenir alimentaire tourne au mirage. C’est peut-être le cas de le dire.
Bien sûr, des fléaux, il y en a d’autres, comme la corruption par exemple, où nous n’avons pas attendu longtemps pour occuper les meilleurs rangs du classement mondial. Et, par-dessus tout, la violence terroriste. On remarquera que toutes ces déviances massives sont lucratives. Parce que les “vices” gratuits, comme la libre-pensée ou même le non-respect du jeûne, par exemple, sont bien mieux traqués et réprimés. Tout se passe comme si quelque processus irrépressible s’employait à corrompre la société, portion après portion. Plus rien, et presque plus personne, ne résiste à la force de persuasion de l’argent.
La réponse lénifiante de l’État opposée à la délinquance amplifie ce processus. Qu’importe qu’on libère les coupables parce qu’on estime que c’est de notre nature d’excuser la faute, ou parce qu’on voit dans le pardon un effet rédempteur ou parce que les structures sont insuffisantes pour l’application des peines prononcées. Le résultat en est une banalisation de l’acte délictuel.
Avec un tel état d’esprit national, il n’est pas étonnant que certains trouvent moins risqué de planter ou de commercer du pavot que de parler ou d’écrire. Et plus rentable. Après l’espèce d’homologation morale du crime terroriste, la délinquance ordinaire pouvait bien prétendre à son tour à quelque compréhension. Le concept d’égarement met sur un pied d’égalité le citoyen qui toujours persévère dans le droit chemin et celui qui s’offre quelques passagers détours. Si, en plus, ce crochet hors du sentier de la légalité peut l’enrichir… il peut même y prendre goût et récidiver. En attendant la prochaine mesure de clémence. Et, pour le pays, le cercle vicieux, vraiment vicieux, de régression morale continue.
Mustapha Hammouche