UN CLONE NOMMÉ OUYAHIA

En remettant en selle un ex-Premier ministre, alors répudié sans la moindre explication, le chef de l’Etat fait-il de la diversion ou bien rééquilibre-t-il le rapport des forces au sein du système ? Car, au-delà du fait qu’un Ouyahia soit un chef de parti naguère en vue et surtout un compétiteur redoutable dans la conquête des sinécures de la République, il y a dans sa résurrection une part importante de calcul de la part du président. En prévision des prochaines élections, ce dernier vient d’entamer, selon toute vraisemblance, une longue partie d’échec avec les institutions afin de les circonvenir.

L’armée, pour ne pas la citer, serait le destinataire de ce rabibochage avec l’homme dont elle aurait fait depuis longtemps son joker. L’alchimie ancienne, qui, à l’abri des urnes démocratiques, a continuellement frappé la «monnaie» du régime est toujours opératoire en dépit de toutes les fanfaronnades entendues depuis 1999. Tout comme ses prédécesseurs, Bouteflika en a été une de ses effigies par deux fois frappées (1999 et 2004), quoiqu’il s’en défende. En effet, il a eu beau clamer depuis sa redésignation en 2004 qu’il s’était affranchi de toute tutelle il n’a, en vérité, convaincu que ceux qui ferraillent pour sa reconduction. Bien au fait des mécanismes présidant aux désignations, ces derniers plaident auprès des cabinets noirs sa cause.

Dans le même temps lui, lâche opportunément du lest en ressortant du placard un personnage pour lequel, il n’avait, jusqu’au mois de mai 2006, qu’une relative estime. C’est que ce Ouyahia-là qui a la réputation sulfureuse de taupe politique commençait à lui faire de l’ombre. Cannibale politique de la même espèce que son mentor, il ne pouvait, à l’époque de sa disgrâce, que s’en prendre à lui-même et notamment à la somme des maladresses dont il s’est rendu coupable au plan relationnel. Une ambition trop tôt affichée a fini par irriter un président ombrageux. L’homme n’avait d’ailleurs pas bonne presse et son impopularité notoire facilitera son limogeage. Déjà en 2001, Mourad Benachenhou, économiste de grande réputation et exministre dans les cabinets d’avant Bouteflika, dressait de lui un portrait sévère.

Le décrivant comme un cynique opportuniste, il disait de lui ceci : «(…) Que ce soit le même homme de main, bavard, incompétent mais zélé qui applique les mesures destinées à renforcer le non- Etat en Algérie n’a rien de surprenant. Quand on veut aller jusqu’au bout de la criminalisation de la citoyenneté, rien ne vaut que de prendre le même et lui dire de continuer. Quand on est un simple homme de main on n’a pas de conviction par définition.

Et les règles morales ou bien les principes politiques dont on se réclame pour justifier les actes de déni de citoyenneté ne valent pas plus que les arguments moraux qu’un criminel met en avant pour justifier ses crimes.» (1) Ce réquisitoire dressé en pleine crise de la Kabylie, dont il fut le manipulateur en chef et l’auteur de toutes les infâmes accusations, lui vaut jusqu’à ce jour de solides inimitiés dans l’establishment. Or, par quel miracle du saint-esprit politique celui-ci retrouve la grande lumière de la «maison du pouvoir», si ce n’est celui de l’injonction de la caserne ?

Sans jamais être démentie, la rumeur qui lui attribue le parrainage kaki depuis son ascension en 1995 aux côtés du général-président Zeroual, ne serait-elle pas à l’origine de son nouveau recyclage ? Ainsi elle accréditerait l’idée que Bouteflika, malgré ses dénégations, demeure très sensible à l’avis des militaires. Autant dire qu’il est toujours sous la dépendance des «services» dont la neutralité politique n’est pas du tout évidente. Ce ne sont par conséquent pas les gesticulations des partis de l’opposition (si tant est qu’ils existent encore) qui le dérangent, mais bien les réserves de la «muette» sur son projet. Parmi les enjeux de l’amendement constitutionnel, il y aurait précisément celui de la création d’un poste de vice-président au cas où… ! Bouteflika, qui aura 72 ans en avril 2009, pourra-t-il assumer en toute sérénité les lourdes charges jusqu’en 2014, se demandent les militaires ?

Eux qui ne voudraient plus jamais revenir au putschisme d’antan en cas de vacance brutale, aimeraient bien promouvoir cette formule. Celle d’un passage de témoin sans le recours au très discutable parrainage. Que le président cocufie la Constitution afin de rester à demeure leur importe peu ou du moins, devient un sujet accessoire dès lors qu’ils lui imposent un successeur par anticipation. Privilégiant un tutorat «soft», elle marchanderait, paraît-il, le poste à travers ce politicien de la «3e génération » nommé Ouyahia. Même si le président doit céder sur ce point afin de faire aboutir son coup de force constitutionnel, il reste que l’armée va se retrouver en porte-à-faux avec les élites civiles qui ne comprendraient pas alors pourquoi les décideurs des Tagarins ne résolvent pas l’équation de Bouteflika en l’empêchant simplement de violer la loi fondamentale. Trop manœuvrière politiquement, cette hiérarchie perdrait alors le peu de crédit républicain qu’elle avait engrangé à travers ses campagnes contre le fascisme vert. La solution médiane dont il sera question deviendra alors une double forfaiture : caractérisée d’abord par sa démission devant ses responsabilités constitutionnelles (elle en est la gardienne) ; ensuite par la délégitimation de la fonction présidentielle dès lors que l’alternance, en cas de force majeure, s’opère hors des urnes.

Contrairement à un passé peu glorieux lorsqu’elle imposait contre vents et marées son candidat, c’est dans le contexte présent qu’elle doit donner des gages de respectabilité républicaine. Les appareils politiques n’exigent d’elle que cela, car ni elle, ni la république n’ont jusque-là tiré profit du processus de réaménagement du sommet de l’Etat dont elle avait l’exclusivité. Ses équations du passé ne sont-elles pas devenues des quadratures du cercle qui ont déboussolé le pays et ses élites, en enfermant ces dernières dans un strict rapport d’allégeance vis-à-vis de l’appareil d’Etat ? Ouyahia, devenu clone de Bouteflika III, voilà qui annonce l’avènement d’une république monarchique dont la généalogie sera, à chaque circonstance, établie par la caserne. Triste tropique…

Boubakeur Hamidechi

(1) Cette citation est extraite d’une contribution de l’auteur cité parue dans le Quotidien d’Oran du 27 mai 2001.

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