Otages et prisonniers

Les difficultés endurées par les Algériens, aggravées par l’inflation ces derniers mois, préoccupent moins les autorités que les luttes sociales qu’elles ont rendues nécessaires.

Avant les dernières grèves des fonctionnaires, l’ordre du régime régnait. Peu de chose le perturbait : le terrorisme est “résiduel” ; les partis politiques d’opposition, normalisés, remplissent bien leur nouveau rôle de figurants “démocratiques” ; la presse a été réduite, par divers procédés, à sa plus simple expression, si l’on ose dire.

Un ordre à peine perturbé par quelques sporadiques émeutes locales pour cause de pénuries de logement, d’eau ou d’électricité. Les arrestations et les référés du lendemain finissent toujours par y ramener la quiétude, temporairement troublée.

L’avènement des syndicats autonomes semble faire désordre dans cet univers pacifié par l’effet conjugué de la carotte et du bâton.
Tout a été tenté pour contrecarrer ce début de mouvement social autogéré : le refus d’agrément, l’interdiction de manifester, la primauté des fédérations UGTA dans les négociations sectorielles, la création de sections affiliées au syndicat unique là où il est absent, un “pacte social” qui fige le mouvement de revendication, la réponse judiciaire aux initiatives d’arrêts de travail, etc.
La dernière grève avait, malgré tout, confirmé la représentativité du mouvement syndical autonome ainsi que la pertinence de ses revendications.

Avant-hier, le secrétaire général du RND, dont on retient qu’il ne fut pas un Premier ministre prodigue en matière de salaires, a appelé le gouvernement “à plus de prudence” pour assurer “la stabilité sociale”, avant d’accuser les syndicats de “prendre en otage un peuple”. Malgré son constat sur l’insuffisance des mesures prises pour “soulager le pouvoir d’achat” et faire face “au front social”, Ouyahia dénonce les syndicats coupables de “prendre en otage un peuple” et de ne pas “négocier” et “proposer”.
Il n’a peut-être pas écouté Louh proclamer que le seul syndicat habilité à négocier au nom des travailleurs du “secteur économique et de la Fonction publique”, c’est l’UGTA.

Même si, probablement, le chef du RND veut prendre date devant les risques d’effervescence sociale, c’est d’abord la virtualité d’une autonomie de l’action syndicale qui est en cause. Il met en garde l’Exécutif sur les perspectives du front social et remet en cause la démocratie syndicale.

Les Algériens otages des organisations professionnelles ? Ne sont-ils pas d’abord captifs d’une politique économique et sociale où la rente méprise la valeur ajoutée ? C’est justement d’avoir longtemps empêché les Algériens de se faire représenter et d’exprimer leurs besoins qu’on a fait du pays une immense prison où des jeunes se morfondent dans l’oisiveté et le désespoir. Si bien que beaucoup d’entre eux affrontent les dangers extrêmes pour s’en évader, qui vers le maquis, qui sur des radeaux, qui dans la défonce.

Quand on sponsorise volontiers les zaouïas et qu’on est dérangé par l’existence de syndicats, c’est qu’on veut pérenniser cette absurde situation où le soutien rapporte plus que l’effort, ce système rentier qui a pris le pays en otage.

Mustapha Hammouche

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