Un philosophe dans la foule

Imaginons, un instant, Ibn Rochd (1126-1198), assister à une course hippique près des remparts de la resplendissante Cordoue du douzième siècle et mourir parmi la foule, ou encore, Jean Paul Sartre, acclamer les athlètes aux Jeux olympiques de Tokyo, en 1960, et rendre le dernier souffle. Eh bien, Thalès le fit, il y a de cela vingt six siècles, lors des Jeux olympiques de l’an 548 avant A.J. Lui, le premier philosophe grec, était venu s’y découvrir à cru, parmi une jeunesse sportive, donnant ainsi à la réflexion philosophique ce qui devait, ou devrait être, sa véritable dimension dans la vie de tous les jours.

Loin de lui déconseiller de descendre parmi la foule, son intérêt pour les choses de la physique et de la métaphysique à la fois, fit de lui, au contraire, le promoteur d’une approche philosophique ayant pignon direct sur rue. Et quelle rue ! Imaginons encore un penseur recevant une récompense des plus singulières… Eh bien, ce fut Thalès encore qui, le premier, l’avait obtenue à une époque où le livre était l’apanage des prêtres et de quelques clercs : avoir droit d’accès à la bibliothèque du pharaon !

En Egypte, où l’avaient mené ses pérégrinations à travers le Moyen-Orient en vue d’élargir ses connaissances, il eut droit à cette grande faveur pour avoir résolu un problème d’ordre géométrique. Défiant les mathématiciens, il fit de sa propre personne, physique, une espèce de nouvel étalon pour calculer la hauteur de la pyramide de Khéops en partant simplement du principe qu’à un certain moment de la journée, l’ombre de tout objet devient égale à sa hauteur.

Certes oui, il faut bien situer cette récompense dans son cadre historique pour saisir son importance. Le seul nom de bibliothèque faisait rêver alors tous les fouineurs à la recherche de la perle rare. Pourtant, le pharaon, pour reprendre le sémioticien italien, Umberto Eco, avait mis en garde contre tout ce qui est écrit, craignant ainsi le pire pour la mémoire de l’homme.

L’écrit, affirmait-il à ses prêtres, rend la mémoire fainéante et condamne l’homme, ainsi, à céder place à la mémoire livresque qui, elle, n’est pas réellement vivante. Admis dans la bibliothèque du pharaon pour consulter des ouvrages d’astronomie, Thalès faisait, en fait, renverser la vapeur en révolutionnant l’approche de tout ce qui a été enregistré par l’homme et ce qui devait l’être ultérieurement.

Indirectement peut-être, le pharaon, en homme de pouvoir et d’esprit à la fois, eut à imprimer un tournant décisif à l’activité intellectuelle, dès lors que pour lui et pour Thalès à sa suite, la connaissance ne pouvait pas se permettre le luxe d’une halte de quelque nature qu’elle fût. Même dans un stade, la philosophie poursuivait ses conquêtes en y tenant salon.

Thalès s’y était rendu pour la dernière fois, en faisant une exposition pédagogique à souhait de toutes ses connaissances et de sa fameuse théorie sur l’origine aquatique de tout ce qui est vivant. C’est dire que la vérité ne prend jamais de rides ! Et c’est dire aussi que l’image de Thalès dans un stade avait une « puissance platonique en ce sens qu’elle avait pu transformer son individualité en idée générale. »

Merzac Bagtache

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