L’Europe contorsionniste
Dans quel monde vivons-nous? L’Europe est en transe. La situation des Tibétains en Chine la préoccupe au plus haut point. On ne peut que rester admiratifs devant un tel soutien au bouddhisme martyrisé par la Chine athée. Encore plus admiratifs quand on sait que ce soutien de l’Europe a un coût. Grande puissance économique en plein essor, la Chine est draguée par le capitalisme mondial. Il n’empêche que l’Europe semble tenir beaucoup plus à ses principes qu’à ses intérêts. Ce n’est pas le cas des Etats-Unis qui appellent au dialogue pour dénouer la crise.
Le soutien de l’Europe défie toute la logique des affaires pour défendre une religion. Même Cohen Bendit se met de la partie. Même si ce n’est pas dit ainsi. Même si on préfère au terme religion celui des droits de l’homme. Il n’en reste pas moins que le dalaï-lama, dont le représentant vient d’être chaudement ovationné par les parlementaires européens, est le maître spirituel du bouddhisme tibétain.
Quel beau sacrifice que celui que consent l’Europe au profit des bouddhistes du Tibet? Non seulement elle met en péril d’énormes profits financiers que ses industriels convoitent en Chine, mais elle n’hésite pas à évoquer son boycott d’une manifestation sportive aussi importante que les Jeux Olympiques. Elle n’hésite pas à mêler le sport à la politique quelques semaines seulement après avoir dit de ne pas mélanger la littérature et la politique à propos du Salon du livre de Paris. Il faut vraiment avoir de fortes convictions pour réussir de telles contorsions.
Des contorsions endiablées faites pour d’une part, soutenir une religion et se taire devant l’agression venue d’Europe contre une autre religion. Du livre celle-là, qui plus est. Le film contre l’Islam du député néerlandais n’a pas soulevé plus d’indignation des dignitaires européens que lors des caricatures danoises. Mieux, il faut se rappeler le soutien apporté par l’Europe au premier des agresseurs de l’Islam, Salman Rushdie, au nom de la fameuse liberté d’expression. Autre contorsion de la grande émotion exprimée actuellement par l’Europe sur le sort des Zimbabwéens pris dans une immense inflation et soumis à une féroce dictature.
Les Africains ont, apparemment, plus de chance avec la compassion européenne que les Cubains qui viennent aujourd’hui seulement d’obtenir le droit d’utiliser le téléphone portable, d’acheter une télé et un magnétoscope. Des Cubains qui n’ont rien à envier à la dictature zimbabwéenne, ils vivent la leur depuis 1959. Des Cubains qui n’ont rien à envier aux étals vides du Zimbabwe, les leurs ont toujours été vides depuis 40 ans. Des Cubains pour qui l’alternance ne dépasse pas la succession d’un frère par un autre.
Toutes ces contorsions ne relèvent d’aucune confusion mentale mais de la prestidigitation. Même grossière. Tellement grossière que le fil conducteur est visible à l’oeil nu.
Zouhir MEBARKI
