Le 24 février, en attendant le 1er Novembre
En Algérie, plus que nulle part ailleurs, se vérifie la règle selon laquelle le droit ne s’octroie pas, mais s’arrache. La réaction du Chef du gouvernement à la veille de la grève à laquelle les syndicats de fonctionnaires ont appelé pour aujourd’hui témoigne de la pertinence de cet axiome.
“Depuis quelque temps, une agitation infondée est constatée dans certains milieux de la Fonction publique prenant en otages les usagers des services publics”, déclare un communiqué des services du gouvernement. La tradition d’une gestion arbitraire de la vie publique ne s’est pas encore accommodée de l’intervention d’acteurs autonomes dans le fonctionnement des institutions. Leur existence sociale est réduite à l’expression de “certains milieux de la Fonction publique” et leur action devient une “agitation”, infondée qui plus est.
Les syndicats autonomes n’ont d’ailleurs pas d’existence légale ; c’est déjà une reconnaissance qu’ils aient accédé au statut de “milieux” de la Fonction publique. Et s’ils sont passés du déni d’existence à l’état de faction douteuse, c’est que, lors de la dernière grève, le pouvoir a constaté l’évidence d’une volonté organisée d’une grande partie des fonctionnaires. Et pour cause : un Trésor public, qui fuit de partout, ne connaît la rigueur de gestion que quand il s’agit de calculer les salaires des employés.
Même si le communiqué tente tout de même de répondre au mot d’ordre de “l’agitation infondée” en exposant un bilan social prévisionnel exhaustif, il exprime d’abord l’insupportable position d’un pouvoir dépouillé de la valeur symbolique de la date du 24 février. Pour la première fois dans l’histoire de l’Algérie indépendante, une grève d’envergure significative vient de réussir, en dépit dans l’appareil de contrôle social qu’est l’UGTA. Et pour la première fois, la date anniversaire du 24 février est soustraite à l’usage exclusif du pouvoir et de son appendice syndical et, au moins partiellement, restituée aux travailleurs comme moment commémoratif et revendicatif.
Le 24 février et l’UGTA sont à la vie sociale ce que le 1er Novembre et le FLN sont à la vie politique.
Tant que les symboles et les dates n’ont pas été libérés de l’exploitation clanique qui en est faite par quelques familles, c’est la perspective politique et syndicale qui est hypothéquée. La virtualité démocratique est, en l’état actuel du fonctionnement institutionnel, largement compromise.
Mais ce qui n’a pas été gagné par le mouvement démocratique, en partie affaibli par la contre-attaque islamiste, en partie corrompu par l’arrivisme de ses leaders, et en partie contrecarré par la fraude électorale, le sera-t-il par le mouvement syndical ? Tout dépendra de la résistance morale de ses meneurs. Pour l’heure, le pouvoir combat énergiquement le syndicalisme libre par la répression policière et judiciaire, l’emprisonnement des cadres, le déni administratif de représentativité et, maintenant, par la dénonciation médiatique.
Alternant la répression et la fuite en avant, le pouvoir n’a pas pu empêcher l’évolution naturelle de la réalité syndicale. Une évolution qu’il a largement suscitée par sa politique de contre-développement.
Mustapha Hammouche