Lièvres et…cavalier seul
Lorsque l’ambition personnelle et la quête immodérée des privilèges gouvernent une classe politique il est, presque, avantageux d’être du côté des censeurs qui stigmatisent de telles inclinations. La clochardisation de l’appareil d’Etat et les appétits inassouvis de ceux qui gravitent autour, sont tels qu’ils désespèrent l’opinion en général et l’électeur en particulier. La république est désormais nue et la démocratie en berne.
Pour n’avoir pas été capable d’élever la voix quand il le fallait et de lever des troupes de militants afin de résister à la conjuration qui s’apprête à briser l’ultime digue au despotisme, nombreux seront les opposants de salons que l’on accusera en 2009 de complicité passive. Car enfin, comment peut-on anticiper sur fraude électorale en avril 2009 jusqu’à exiger, au nom de scrupules surréalistes, la présence d’observateurs internationaux quand il vous est d’abord demandé d’empêcher par tous les moyens que l’amendement scélérat passe ? Saïd Sadi, l’auteur de cette «perspicace» mise en garde, ne se trompe-t-il pas de combat et de timing ? Ou bien alors, ne laisse-t-il pas entendre à demi-mot qu’il s’accommoderait volontiers de tous les tripatouillages de la loi pour peu que l’on fasse de lui un lièvre parmi d’autres d’une présidentielle qui se voudra pluraliste ?
Se réfugier derrière un prétendu réalisme pour assumer l’irréparable et en même temps se projeter dans l’avenir s’appelle de l’opportunisme, dans toute sa connotation péjorative. Au moment où des motions qui circulent dénoncent la dérive du droit, la vocation de l’opposition politique ne consiste-t-elle pas à amplifier les appels de ces franges de la société civile ? Hélas, c’est à partir d’une autre rhétorique que l’on disserte sur un sujet aussi grave. Et c’est ce déplorable décalage, par rapport au péril qui se dessine, qui pose aujourd’hui problème. Une étonnante frilosité qui dessert mortellement la vigueur de l’opinion dont la traduction est lisible dans les pages des journaux. En effet, depuis quelques semaines, la presse donne à lire des contributions pertinentes sur ce viol constitutionnel qui va livrer à nouveau le pays à ses anciens démons.
Quand ici et là le régime en place est expertisé par des spécialistes dont les conclusions sont souvent négatives, pourquoi donc les courants politiques ne prennent-ils pas leurs parts de responsabilité et agissent en conséquence ? Sur les bilans des deux mandats n’y a-t-il pas matière à débat et notamment constat de faillite ? Si oui, comme l’on suppose, pourquoi donc continuer à louvoyer autour d’arguties de «scrutateurs» quand il faut clairement prononcer la répudiation d’un pouvoir ? La réalité du régime ayant fini par rattraper l’illusionniste qui l’incarne, pourquoi donc accepter d’aller sur le terrain de ses courtisans qui s’efforcent, avec beaucoup de ruse, d’occulter les échecs d’une longue gouvernance et ne parlent que du concept de «stabilité » afin de justifier un amendement ? Seuls, aujourd’hui, ont, raison ces platoniques pétitionnaires quand ils rappellent au pouvoir : qu’une constitution avant d’être changée doit, d’abord, être appliquée.
Or, en l’occurrence ce ne fut guère le cas de la double mandature actuelle qui porte le sceau de la violation permanente. Ce constat majoritairement partagé par la classe politique constitue précisément la trame de toutes les critiques qui l’accablent et les écarts dont il s’est rendu coupable. Depuis sa reconduction en 2004, l’on n’a jamais cessé de conjecturer sur la finalité de chaque acte de gestion, tant les incohérences étaient notoires et l’irrationalité des options politiques préjudiciable. Cela fait bien 5 années, qu’en dehors de ses «familles politiques», les hommes publics et la presse jugent sévèrement sa propension à tout circonvenir. Comme, par exemple, à casser les appareils partisans, à dépouiller le Parlement de sa mission de législateur, à mettre aux ordres la justice et à transformer l’administration en une vaste officine exclusivement au service de ses ambitions.
Cependant, toutes ces sphères «critiques» qui souvent ont mis le doigt là où il y a de la malfaçon et de la malfaisance, n’ont pas été suffisamment réactives pour anticiper et décrire le terrible point de non-retour qui va nous réinstaller pour longtemps dans une tyrannie molle. L’accomplissement du fameux hold-up a certes ses hommes de main, mais il aura, après coup, des témoins qui ne surent pas s’y opposer. Ceux-là sont les partis, qui au nom d’une présumée patience et de fumeuses stratégies ont chaque fois fait du challenge des urnes un dogme et presque une mystique, sans prendre la précaution de réfuter les faux rendez-vous électoraux auquel les pouvoir les y invitaient.
Dans le fameux principe de la «participation» n’y a-t-il pas une aptitude au renoncement à des combats clairs ? Un avant-goût de la défaite consentie dès lors que l’on accepte de n’être que des lièvres dans une mascarade. Magnifiques vaincus qui trouveront dans leur sort de sparring-partners qui ne sont là que pour se coucher matière à satisfaire leur ego d’hommes et de femmes politiques ! Or, la seule contre-offensive possible dans les mois à venir pourrait venir de l’idée d’un boycott des candidatures, lequel viendrait renforcer la massive abstention de l’électorat.
Confiner le pouvoir dans la solitude du prédateur est bien évidemment difficile à réaliser, tant le terreau des malsaines ambitions est fertile et les avantages matériels alléchants. Cependant, la possibilité de le priver de compétiteurs crédibles par leur «visibilité » publique entacherait tout aussi bien cette troisième légitimation. Autrement dit, les leaders politiques sont appelés à passer un deal moral avec un pays en se détournant non seulement de la surexposition qu’offre une présidentielle truquée mais également en battant campagne contre l’atteinte à la Constitution même si l’on sait qu’elle aura peu d’effets dissuasifs.
Une campagne sur ce double thème serait le moyen de soustraire à un président sortant la confortable «explication de texte» qu’il a eu l’habitude de sortir à chaque élection. Celle qui consiste à brocarder la présence de ses adversaires en prenant à témoin l’opinion.
- «Constatez par vous-mêmes leur duplicité. Tous jouent le jeu des élections et ambitionnent de me succéder malgré les injustes accusations dont ils m’accablent. N’est-ce pas une preuve qu’il est possible de me déboulonner démocratiquement et qu’ils y croient eux !» Cette dialectique subtile consistant à retourner avantageusement à son profit les reproches de l’adversaire n’est pas une facette de bateleur, mais bien une redoutable logique qui fait, ipso facto, de la «participation» le fondement légal de son coup d’Etat constitutionnel.
Il les y attend sur ce terrain en sachant par avance qu’il aura gagné une énième investiture dès l’instant où eux auront admis que le jeu en valait la chandelle. Alors l’illusionniste aura escamoté une troisième fois une élection et les vaincus consentants se réveilleront avec la gueule de bois des politicards de pacotille et le discrédit public en prime.
Boubakeur Hamidechi