Rembrandt : la Ronde l’Art et du Pouvoir

Le cinéaste britannique d’origine hongroise Alexander (Sandor) Korda (1893-1956) avait consacré, en 1936, un film magistral au peintre hollandais Rembrandt. Une oeuvre d’une forte intensité dans laquelle l’artiste était incarné par le prodigieux Charles Laughton, immense vétéran du cinéma américain. Alexander Korda dont l’influence sur le cinéma européen est incontestable - son nom est lié par exemple à l’univers littéraire de Marcel Pagnol dont il adapta Marius à l’écran - se penche dans son Rembrandt sur les conséquences pour le peintre de son célèbre tableau La ronde de nuit, peint en 1642.

Rembrandt van Rijn (1606-1669) était notamment le contemporain du grand peintre hollandais Pierre Paul Rubens. Il réalise La Ronde de nuit sur commande de deux membres influents de la milice d’Amsterdam qui souhaitaient voir leur corps de mousquetaires glorifié par l’artiste qui comptait le plus à cette époque. Rembrandt n’a pas encore quarante ans lorsque il achève La Ronde de nuit, mais il a déjà connu honneurs, consécration et surtout richesse. Cependant, cette toile, pour laquelle il a été grassement rétribué, va considérablement déplaire à ses commanditaires. C’est ce conflit entre l’art et le pouvoir qui est au coeur du film d’Alexander Korda . Il l’est également pour le film du cinéaste et peintre français Charles Matton qui a réalisé en 1999, sous le même titre de Rembrandt, avec Klaus- Maria Brandauer, un film centré sur La Ronde de nuit.

Dans quelques jours va également sortir le film du cinéaste britannique Peter Greenaway, The Nightwatch, centré sur cette oeuvre polémique du peintre hollandais qui fait l’actualité près de quatre siècles après sa mort. Présents sur la plateau de l’excellente émission de Frédéric Taddéi, « Ce soir ou jamais », diffusée sur France 3, Charles Matton et Peter Greenaway ont évoqué le modèle commun de leurs films respectifs pour convenir d’abord que Rembrandt restait insaisissable malgré tout ce qui se sait de sa vie et de son oeuvre et plus particulièrement encore cette Ronde de nuit dont les experts n’ont pas percé tous les secrets de fabrication.

Extrapolant ces mystères insondables de l’art de Rembrandt, Peter Greenaway a bâti son film, The Nightwatch autour de la thèse politique du complot que le peintre avait voulu fixer sur sa toile. Les bourgeois de La Ronde de nuit auraient été des conspirateurs dont Rembrandt aurait percé la nature et voulu le leur faire savoir en les peignant sous leur vrai jour. D’où leur colère et la mise en route d’une stratégie de démolition de l’artiste. Cette idée de vengeance et d’acharnement est autant distincte dans les films d’Alexander Korda que ceux de Charles Mattion et Peter Greenaway.

Chez ce dernier, il y a d’ailleurs une intéressante pétition romanesque qui n’est pas éloignée de l’esprit d’Alexandre Dumas et selon laquelle il n’y a pas d’histoire, mais des historiens. Il faut se demander en effet pourquoi Rembrandt van Rijn a scié la branche sur laquelle il était confortablement assis. Rembrandt avait démontré, en réalité, à une période où l’art n’était pas possible sans le mécénat, qu’il ne ferait pas, lui, tâche de vulgaire propagandiste.

Après La Ronde de nuit, Rembrandt avait été soumis à une violente campagne de rumeurs et de calomnies qui n’épargnaient pas même sa vie intime. Hier adulé, il était désormais traîné dans la boue avant que la vindicte de ses ennemis ne le pousse à la ruine. Il faut tout de même relever que la hargne des bourgeois d’Amsterdam ne les avait pas conduit à l’extrémité de détruire cette Ronde de nuit controversée qui figure, disent Charles Matton et Peter Greenaway, parmi les oeuvres capitales de l’art universel avec La Joconde de Léonard de Vinci et la fresque de Michel-Ange sur la chapelle Sixtine.

Rembrandt est un maître absolu du portrait et le peintre qui incarne le mieux les valeurs du réalisme. Sa modernité réside dans la structure proprement révolutionnaire de la manière dont il disposait ses personnages dans le cadre de sa toile et qui annonçaient dans une large mesure le plan cinématographique. Cette oeuvre est à la mesure du caractère de Rembrandt qui ne voulait pas être un peintre officiel et qui payera chèrement ce choix lorsque la cohorte de ses adversaires pourront faire croire qu’ils avaient fabriqué Rembrandt et qu’ils le punissaient pour ne pas avoir eu la reconnaissance du ventre.

Amine Lotfi

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