L’amertume des « exilés »

Face à ses « concurrentes » du Moyen-Orient, et même du Maghreb, l’Unique fait aujourd’hui piètre figure. D’ailleurs s’il y avait un classement à établir par simple curiosité, on se demande quel strapontin elle pourrait bien occuper dans le gotha télévisuel mondial tant elle se situe loin du niveau international si on prend en ligne de compte le seul avis des téléspectateurs qui daignent encore lui accorder de l’intérêt pour pouvoir comparer.

« Notre télévision semble appartenir à une autre époque, elle parait complètement dépassée par l’extraordinaire flux des inventions, de la créativité, de l’intelligence et de la technologie de pointe qui meublent l’univers des grandes chaînes satellitaires dont s’enorgueillit aujourd’hui le monde arabe pour ne citer que cette partie du globe. Ce qui est encore plus triste, c’est qu’elle s’accommode fort bien de ce statut peu reluisant qui la laisse toujours à la traîne. » Voila à peu près ce que pensent de leur petit écran de nombreux Algériens qui rêvent d’avoir une télé à dimension continentale, à la hauteur de leurs aspirations, mais qui doivent à chaque fois remiser leur imagination.

Subjective l’opinion des anonymes ? Pas si sûr lorsqu’on sait que le sentiment des professionnels est encore plus accablant. La petite enquête qu’a publiée la semaine dernière El Watan sur l’exode des journalistes de l’ENTV vers les chaînes arabes est à ce titre édifiante sur les raisons d’une telle saignée de compétences, ignorées chez elles et reconnues ailleurs. Le docteur Brahim Brahimi, spécialiste des médias, parle d’un chiffre qui varie entre 200 et 300 journalistes algériens qui ont pris le chemin de l’exode moyen-oriental et occidental pour aller exercer un métier devenu pratiquement impossible dans leur pays, pas uniquement pour des motifs sécuritaires.

Potentiellement, c’est énorme comme perte pour une boîte étatique qui se targue d’avoir investi dans la formation, sauf que paradoxalement ce départ précipité et massif des meilleurs « enfants de la télé » ou du moins de ceux qui se sont fait un nom et donc considérés parmi les plus qualifiés et les plus expérimentés semble n’avoir jamais dérangé la quiétude d’une chaîne nationale plus soucieuse de se mettre sous la coupe du Pouvoir qu’à répondre aux impératifs d’une activité télévisuelle moderne, voire contemporaine avec tout ce que cela suppose comme adaptation aux réalités sociales, culturelles, politiques…

Si le téléspectateur algérien trouve que sa télé est déprimante, les transfuges de l’Unique qui se sont fait une place de choix au sein des chaînes arabes comme El Jazeera, Al Hurra, ANN, MBC ou Dubai TV s’accordent à dire que c’est de l’intérieur que les choses ne cessent de se dégrader à force de « verrouillage ». Terme qui est revenu souvent dans l’argumentation de Brahim Brahimi pour qui cette « ruée vers l’Est » des journalistes algériens est la résultante directe de la fermeture des médias publics à la qualité et aux compétences, des médias donc réduits à ne fonctionner que par degré de docilité et d’accointances.

Conséquences : sur le plan professionnel, c’est catastrophique et l’arrivée des opportunistes a fini par isoler les plus méritants, dira Mourad Chebine qui pense que la qualité technique et artistique des productions de la télévision nationale s’éloigne de plus en plus des critères internationaux. « La télé chez nous est devenue un moyen pour faire fortune dès lors que des sociétés privées produisent n’importe quoi et vendent à coups de millions de dinars.

En 1990 on était en avance par rapport aux pays arabes, c’est loin d’être le cas maintenant », avouera encore l’ex-animateur de l’émission politique mais néanmoins populaire à succès « Face à la presse » qui dirige depuis deux ans la rédaction de la chaîne américaine Al Hurrah après avoir fait les beaux jours de Dubai TV. Dans les propos de ce journaliste qui avait conquis une forte popularité grâce à son sérieux et son courage pendant la sanglante période du FIS qui l’avait d’ailleurs porté sur sa liste noire, il y a une note d’amertume qui résume bien le gâchis qui affecte le monde de la télé version algérienne.

A voir nos meilleurs journalistes et professionnels des médias lourds de manière générale partir sous d’autres cieux, non pas pour se remplir les poches, mais simplement pour pratiquer librement et dans de bonnes conditions leur job, révèle la profonde déliquescence du système de gestion dans laquelle se complaît l’Unique, un système qui selon les anciens de la maison privilégie le carriérisme à outrance au détriment du talent.

Comment pourrait-on alors imaginer une télévision nationale dynamique, captivante, à l’écoute de ses téléspectateurs quand la seule motivation est celle de faire du remplissage et servir de caisse de résonance au discours politique dominant. C’est la politique qui étouffe la créativité, diront les spécialistes à partir du moment où l’Unique ne représente qu’un instrument de propagande pour consolider dans ses fondements idéologiques ce discours.

A quoi donc sert d’avoir de talentueux éléments si on les empêche de s’exprimer. Les « exilés » ont bien fait de partir puisqu’ils ont connu considération professionnelle et meilleur standing social. Sans eux, la vie a continué à tourner du côté du boulevard des Martyrs, mais dans un sens giratoire opposé.

A. Merad

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