Faux débat
Pourquoi surdimensionner quelque chose qui relève de l’anecdotique, voire de l’insolite ? Que cache finalement cette campagne, car c’en est une, dans le contexte actuel où surenchères et manipulations sont les repères dominants d’une scène politique polluée ?
Depuis quelques semaines, une certaine presse brandit le spectre de l’évangélisation en Kabylie. Il faut bien admettre que l’association des ulémas de Abderrahmane Chibane, qui s’est distinguée par son retentissant silence sur les crimes perpétrés par les islamo-terroristes pendant les années quatre-vingt dix, apporte généreusement de l’eau à leur moulin par des communiqués qui suintent l’inquisition. À croire cette littérature servie quotidiennement sur plusieurs pages, qui nous renvoie au temps des croisades, la Kabylie est tombée sous la croix et ses habitants se bousculant aux portes des églises.
La récurrence de ce genre d’articles qui focalisent sur la Kabylie, alors que le phénomène, si tant et qu’on puisse parler de phénomène, est visible dans d’autres régions du pays, nous amène à nous poser des questions légitimes. Pourquoi une telle insistance ? Pourquoi spécialement la Kabylie ? Pourquoi surdimensionner quelque chose qui relève de l’anecdotique, voire de l’insolite ? Que cache finalement cette campagne, car c’en est une, dans le contexte actuel où surenchères et manipulations sont les repères dominants d’une scène politique polluée ?
Il ne s’agit pas de se placer sur le même niveau d’argumentaire de ceux qui sont derrière cette croisade en leur rappelant simplement que c’est en Kabylie qu’il existe le plus grand nombre de mosquées du pays, souvent construites avec des cotisations des habitants et que dans chaque hameau trône un minaret. C’est dire à ceux qui crient à l’apostasie que l’islam de tolérance, d’amour, de solidarité, de générosité, celui de nos ancêtres se porte bien en Kabylie.
Plutôt que de jeter l’opprobre sur une partie de l’Algérie qui a sa façon de vivre sa religion, les Chibane et compagnie et leurs trompettes médiatiques seraient désormais plus inspirés à s’interroger sur les raisons profondes qui ont poussé des individus à chercher d’autres alternatives spirituelles.
La crise identitaire provoquée à la fois par des années de violence commises au nom de l’islam, qui ont ébranlé bien des convictions, une mondialisation qui est l’antithèse même des appartenances culturelles et religieuses et une misère sociale sont au cœur de la problématique. Le vrai débat dont le pays a besoin, c’est celui-là et non celui de monter en épingle des faits de société marginaux. À moins que l’on cherche encore à créer un abcès de fixation en Kabylie.
N. Sebti