CROIX-ROUGE ET CROIX GAMMÉE
Ainsi, la vérité historique fait que l’Allemand de Aïn D’heb est en réalité ce Suisse calviniste qui a créé la Croix-Rouge. Dans ses entretiens, Sensal dit qu’il connut ce village, en fait un tout petit hameau, en passant par lui et en s’étonnant de sa propreté. Lisez ce que m’écrit un ami de Sétif à propos de ce lieu-dit : «Oued D’heb dans la région de Sétif n’est même pas un village, c’est un petit douar enclavé, du côté de Bénifouda. On ne passe pas par Oued D’heb pour aller quelque part, on va tout simplement à Oued D’heb qui est en réalité un cul-de-sac.
Ce douar qui n’a jamais été une commune, n’a par conséquent pas connu de maire, ni allemand, ni français, ni algérien.» Notez au passage que vous trouverez toujours de la poussière dans les steppes jamais dans les montagnes et dans les piémonts. Nous sommes en pleine aberration : faire du fondateur de la Croix-Rouge le prétexte littéraire à un procès en nazisme de la guerre de Libération puis de l’Algérie indépendante, c’est vite confondre entre Croix-Rouge et croix gammée, comme l’a bien formulé un ami, mais le procès valait le coup surtout si l’image putative d’un nazi, d’un seul, présumé enrôlé par l’ALN devait effacer toutes hautes figures humanistes qui ont accompagné notre lutte d’André Mandouze aux Chaulet en passant par Audin, D. Timsitt, R. Peishard, Sartre, Fanon ou Jeanson et tous les autres que je ne peux citer tant la liste est longue, si longue.
Il restait aux nostalgériques compléter la démarche. Je vous livre un passage de ce que j’ai publié dans La Tribune il y a plus d’un an à propos de la campagne qui a voulu faire de Camus un repère de notre histoire : «Camus devient (dans cette campagne) le symbole d’une cohabitation qui aurait été possible entre Algériens et pieds-noirs ou du moins possible entre les élites indigènes et les élites pieds-noirs et qui aurait préparé les corrections nécessaires aux «excès» du colonialisme et renforcé ses côtés «positifs». Dans cette perspective, la guerre de Libération perd son caractère de lutte imposée au peuple algérien pour ne devenir qu’une option bien hâtive des hommes du 1er Novembre parmi bien d’autres possibilités.
La France coloniale et la France officielle s’en sortent à bon compte devant ce plaidoyer de la cohabitation et de l’échange que nous administrent des Algériens quarante ans après l’indépendance. Il n’était pas indispensable pour ce faire de nous sortir un Camus indiscutable. La controverse elle-même a pour fonction de justifier le possible par sa non- advenue. Où trouver un autre intellectuel qui aurait pu suggérer cette perspective ? …. Camus reste le seul intellectuel irréductiblement colonial. Et c’est le deuxième but de ceux qui ont dépensé tant d’argent depuis deux ans.
Face au visage hideux des Bugeaud, des Cavaignac, des Saint-Arnaud et de tous les généraux assassins et des colons spoliateurs on nous présente un colon qui serait imbu d’humanisme, la preuve que la colonisation n’a pas été que de la prédation mais aussi productrice de culture …»
A bien regarder depuis cet article nous avons l’impression que cette campagne se développe sur trois axes :1/ casser l’image hégémonique du pied-noir prédateur par celle du pied-noir humaniste dont nous aurions tiré avantage à cohabiter avec lui ; 2/ disqualifier notre guerre par la façon dont elle a été menée 3/ disqualifier les acteurs de cette guerre en appuyant sur leurs penchants réels ou supposés au racisme et aux alliances dégradantes (carrément le nazisme dans les thèses de Sensal). Quitte à tomber dans l’aberration de Oued D’heb et du re-profilage de la Croix-Rouge en croix gammée. Quitte à le faire.
MOHAMED BOUHAMIDI