Le cheveu dans la soupe
Y a-t-il, là-haut, une oreille attentive pour écouter les cris de colère de ces milliers d’enseignants du secondaire qui ont séché les cours pour interpeller l’opinion publique sur leur condition de laissés-pour-compte ? Ces éducateurs et les milliers d’autres fonctionnaires — parents pauvres de la Fonction publique — qui rejoindront ce mardi la protesta nationale dénoncent des statuts particuliers et les grilles de salaires singulièrement humiliants.
Ces documents censés rendre justice à ces catégories professionnelles que la centrale syndicale a tôt fait de brandir comme des trophées de guerre, qu’elle n’a pas livrée ni gagnée du reste, ont déçu plus d’un. Mais qui se soucie de ces enseignants, de ces médecins et de ces fonctionnaires quand bien même ils arrivent à paralyser tout le pays ? Ces mouvements de masse qui, sous d’autres latitudes, constituent une preuve de vitalité d’un peuple réclamant un surcroît de droits à une vie décente, se déroulent chez nous dans un formidable huis clos.
La grogne dans le monde du travail, qui est pourtant un sérieux baromètre du moral national, ne semble pas inquiéter les décideurs à quelques niveaux qu’ils soient. Il est vrai que ce chahut… d’adultes est de nature à bousculer l’ordre politique des choses.
La protesta des enseignants et la détresse des familles des « harraga » tombent assurément comme un cheveu dans la soupe de ceux qui préparent activement et à grands renforts médiatiques et logistiques la grande « zerda » du troisième mandat. Poser les problèmes des enseignants, des « harraga » ou encore de l’insécurité dans nos villes, nos villages et nos quartiers, reviendrait à douter un peu du bilan du Président.
Or, à un peu plus d’une année de la présidentielle, il n’est certainement pas temps ni de bon ton d’étaler publiquement les nombreux ratés d’un double mandat de M. Bouteflika. Quitte en cela à ce que des pans entiers de la société passent à la trappe…
Tout se passe comme si les Algériens devront fatalement ruminer, voire refouler leurs colères actuelles au risque d’être estampillés comme des adversaires potentiels à un dessein politique présidentiel qui tient en haleine les partis politiques et les journalistes.
C’est à croire que les projections politiques et politiciennes du régime le dispenseraient ipso facto de son devoir de prendre en charge les doléances de ses administrés ! Le reproche vaut également pour les partis politiques — ou ce qui en reste — dont on devra hélas faire un constat de carence sur le terrain de la lutte citoyenne.
Que penserait donc cette coordination non agréée de syndicats autonomes à l’égard d’une classe politique qui ne s’encombre même plus des fameux communiqués de soutien ? C’est, pourtant, un bel exemple de combat démocratique et un potentiel humain non négligeable à tenter de mobiliser.
Faire de la politique, c’est aussi mouiller le maillot avec ces Algériens qui grondent, qui souffrent. C’est sans doute bien plus que quelques strapontins distribués à chaque élection. Mais il est apparemment plus commode de jeter la pierre sur l’autre et se dédouaner de son devoir d’assistance et de soutien.
Hassan Moali