Eux ou le chaos
Que de beaux spectacles pour accueillir le nouvel an ! Partout, des rassemblements, des sons, des lumières et des feux d’artifice. Partout, sauf en Afrique et au Moyen-Orient où il est difficile de trouver un coin calme pour fêter quoi que ce soit, si ce n’est quelques forteresses dûment défendues pour la circonstance.
Dans les pays où l’activité touristique reste vitale, comme l’Égypte ou la Tunisie, l’ordre public n’est plus que le résultat d’une conception exclusivement répressive de l’État. C’est au prix d’un siège policier qu’on arrive à sécuriser les hôtels de luxe et les marinas de Louxor, de Charm El-Cheikh et de Hammamet. Mais la menace du terrorisme islamiste élargit chaque jour la sphère du risque, infligeant une précarité sécuritaire dans tout le Proche-Orient et l’Afrique du Nord.
Tout se passe comme si dans ces espaces qui englobent le Moyen-Orient et l’Afrique, les peuples n’ont que le choix de souffrir un pouvoir musclé ou de s’entretuer.
L’apprentissage démocratique, tenté çà et là, ne les prémunit guère de retomber dans la culture des règlements de compte sanglants entre partisans et ethnies.
Ainsi, au Kenya, où l’on a pu vérifier que les enjeux de pouvoir peuvent remettre en cause une culture de l’État qu’on croyait acquise. Comme les Kenyans, les Palestiniens qui, eux aussi, ont une pratique démocratique qu’on trouvait prometteuse ont passé le cap de la nouvelle année à s’entretuer.
C’est que l’initiation démocratique ne prémunit pas les pouvoirs, même parvenus aux affaires par la voie des urnes, de la tentation totalitaire et dynastique. L’Afrique souffre dans sa chair de cette coutume qui consiste à s’agripper au pouvoir et à revendiquer la légitimité du vote. Dans le Continent noir, le coup d’État traditionnel a consisté à déposer un régime ou un chef d’État par les armes pour le remplacer par un autre qui a les faveurs de l’armée. Aujourd’hui, le coup d’état consiste à conserver un pouvoir en manipulant les résultats des élections, quitte à prendre les risques d’une émeute, voire d’une guerre civile.
L’administration a remplacé l’armée dans la préparation de ces espèces de coups d’État conservateurs, quitte à ce que la police et les forces armées interviennent pour réprimer les soulèvements et les affrontements de civils. Le sous-développement politique, qui caractérise la plupart des pays d’Afrique et du Moyen-Orient, pousse à régler les crises d’État par le coup de force des pouvoirs, la mutinerie des forces armées, la rébellion des partisans ou l’émeute des populations. Beaucoup d’entre eux, même ceux, tel le Kenya, qu’on cite à l’occasion comme des exemples de stabilité, s’avèrent, le moment venu, être des poudrières qui s’ignorent.
Mais partout, la leçon peut être tirée : ce sont des régimes qui se revendiquent de la démocratie et qui confisquent ensuite la souveraineté populaire pour la mettre au service de leur pérennité politique qui sont à l’origine de ces sanglantes explosions. N’est pas Mandela qui veut.
Le résultat en est une espèce de précarité de la dictature. En voulant se maintenir, les régimes autoritaires de nos fausses démocraties font courir à leur pays le risque permanent de la crise. Pour ne pas choisir entre leur pouvoir et la démocratie, ils imposent le choix entre eux et le chaos.
Mustapha Hammouche