ÉCONOMIE : ÉGYPTE ET ALGÉRIE : LES MÊMES RIGIDITÉS STRUCTURELLES
Economie rentière (bien que disposant d’une «multi-rente» et non pas d’une «mono-rente»), secteur économique public important, administration économique lourde, bureaucratique et peu efficace, climat des affaires décourageant, ce n’est pas l’économie algérienne qui est décrite ici mais l’économie égyptienne. L’histoire économique de ces deux pays (nasserisme et boumedienisme) est tellement semblable que l’on n’est point étonné d’y retrouver les mêmes processus, les mêmes dysfonctionnements, les mêmes hésitations dans l’application des réformes de structures. Nous avons déjà eu à montrer dans une de nos précédentes chroniques, combien la crise du secteur économique public dans les deux pays et les réformes qui l’ont touché, y compris les privatisations, étaient similaires. Mais là ne s’arrête pas la similitude. Jugeons-en.
1) L’économie égyptienne repose sur la rente. Mais ici il y a trois catégories de rente : les hydrocarbures, le canal de Suez et le tourisme (avec tout le patrimoine historique, culturel et civilisationnel dont est doté le pays). En 2006/2007, les exportations d’énergie ont représenté 8,6% du PIB, soit quelque 10,5 milliards de dollars, le canal de Suez a permis des rentrées de recettes à hauteur de 3,3% du PIB, soit 4 milliards de dollars, le tourisme a connu en 2006/2007 9 millions de visiteurs pour des recettes de l’ordre de 7,7 milliards de dollars (soit 6,3% du PIB). Il faut ajouter à ces sources de revenus, les transferts des travailleurs égyptiens à l’étranger qui ont été en 2006 de 6,3 milliards de dollars (soit 5% du PIB).
2) Le poids du secteur économique public reste en 2007 important, il représente le tiers du PIB (34%) et le tiers des investissements (hors hydrocarbures le secteur public représente 23% du PIB en Algérie et 49% avec les hydrocarbures).
3) Avec une population qui est passée de 55 millions d’habitants en 1990 à 75 millions d’habitants en 2006, l’Egypte supporte une dépendance alimentaire évaluée à quelque 5,5 milliards de dollars (importations de biens de consommation alimentaires).
4) Dans le domaine du climat des affaires, les pesanteurs et la bureaucratie égyptiennes n’ont rien à envier à celles qui prédominent en Algérie. Le Doing Business 2007 classe d’ailleurs les deux pays au même rang : 126es (sur 178).
Les données économiques et financières pour 2007
La croissance économique pour 2007 est évaluée (en prévision de clôture) à +7%. C’est là une performance comparée aux moyennes annuelles de +4% pour la période des années 1990 et +3,7% pour la période 2000/2004. Mais cette croissance économique reste fragile et volatile car fortement contrainte par la conjoncture internationale (encore un point de similitude avec l’Algérie !) La participation des secteurs au PIB est la suivante
Industrie 19%
Industries
extractives 17%
Agriculture 17%
services 33%
L’industrie égyptienne est composée pour l’essentiel de petites entreprises concentrées surtout dans le textile et l’agroalimentaire. Le taux d’investissement a été de 21% du PIB (prévision 2007), tiré essentiellement par le secteur des télécoms, des industries extractives et des transports (33% de cet investissement est le fait de l’Etat). Les difficultés d’accès au financement du secteur privé (pour l’essentiel des crédits bancaires, l’économie égyptienne étant une économie d’endettement) sont connues en Egypte.
«Ce sont les PME qui souffrent le plus des difficultés d’accès au financement bancaire, alors qu’elles pourvoient 85% de l’emploi privé non agricole et contribue à hauteur de 30/40% du PIB» (Economic Research - BNP-Paribas - Nov. 2007). Selon le ministre égyptien des Finances, 75% des PME égyptiennes auraient sollicité un prêt en 2007. Seules 6% des demandes auraient reçu une réponse positive ! L’indicateur crédits accordés/dépôts est tout à fait révélateur du blocage des PME par les banques : il était de 87% en juin 2000, 71% en juin 2003, 54% en juin 2004.
Il y a un effet d’éviction des besoins de financement privés par ceux de l’Etat et rationnement implicite du crédit de la part des banques pour les PME (quand on vous disait que les similitudes avec notre économie sont frappantes !). Et l’analyste de la banque BNP-Paribas, précise : «La hausse des crédits au secteur privé (+5% en 2005/2006, +12% en 2006/2007) a surtout bénéficié aux grandes entreprises en mesure de fournir des garanties» (!) Cette frilosité des banques s’explique par la présence d’une intermédiation bancaire éparpillée, insuffisamment capitalisée. Le gouvernement égyptien vient d’ailleurs de procéder à la diminution du nombre d’établissements bancaires qui est passé de 57 en 2004 à 41 en juin 2007.
Les banques publiques restantes détiennent 50% de l’actif en 2007. Le secteur public (entreprises publiques et gouvernement) continue de mobiliser une partie importante des créances bancaires (44% en juin 2007) (Source : BNP-Paribas). Cette frilosité des banques s’explique aussi par la persistance et même l’augmentation des créances douteuses dans leur portefeuille comme le montre le tableau suivant :
Créances douteuses
(en pourcentage du portefeuille)
2002
2006
Provisions (2006)
Egypte
16,9%
25%
54,9%
Maroc
17,2%
14%
67,1%
Mexique
4,6%
2%
213%
Thaïlande
16,5%
8,9%
79,4%
Turquie
17,6%
3,7%
89,6%
(la moyenne des créances douteuses pour les pays émergents s’élevait à 7,7% en 2006). De plus, ces créances douteuses sont insuffisamment provisionnées, ce qui fragilise encore plus les banques.
La dette extérieure de l’Egypte représentait, à la mi-2007, 25% du PIB, soit quelque 31 milliards de dollars. C’est essentiellement une dette publique contractée à taux concessionnel auprès des institutions internationales. La dette publique globale représente 100% du PIB, soit 124 milliards de dollars (fin 2006). Le déficit budgétaire est de 7,7% du PIB en 2006/2007 (il a été de 9% en moyenne les années précédentes). L’attractivité de l’économie égyptienne s’est beaucoup améliorée et le ratio IDE/PIB a atteint 8,6% en 2006/2007 contre 1% entre 2000 et 2004.
Ces 8 milliards de dollars d’IDE sont orientés principalement sur les secteurs immobilier, télécoms, services financiers, tourisme et énergie. Notons aussi que l’Egypte bénéficie d’un soutien financier américain de 2 milliards de dollars par an depuis quelques années déjà. On peut enfin relever que les exportations industrielles de l’Egypte sont des produits de basse technologie et en 2005 les exportations de moyenne et haute technologie ont représenté 24% (contre 50% pour la Turquie et 31% pour le Maroc).
L’économie égyptienne reste, en 2007, exposée à de lourds défis : vulnérabilité aux chocs extérieurs, dépendance alimentaire, croissance économique atone, pauvreté… Le plan 2007/2012 prévoit de hausser la croissance à 7-8% par an et le taux d’investissement à 30% du PIB. Mais les calculs effectués sur la période 1980/2006 ont révélé que la croissance tendancielle de l’économie égyptienne est aux alentours de 4,5% et «l’écart (positif) entre croissance observée et croissance tendancielle («out put gap») est un indicateur de surchauffe de l’économie» (BNP-Paribas - op.cit.). De plus, Transparency international a classé, en termes de corruption, l’Egypte en 2007 à la 105e place sur 180 pays (elle était à la 70e place en 2006).
Abdelmadjid Bouzidi