Quand la bombe arrive au Palais

Au moment où la télévision nationale reprenait une émission diffusée la veille et où les partis essayaient de nous faire croire qu’il y aura un changement dans la vie politique dès le 18 mai prochain, alors que nous savons que les choix ultralibéraux actuels continueront de guider l’action gouvernementale et que le programme du président sera toujours le seul et unique plan de l’ancienne future majorité ; au moment où l’autre chaîne satellitaire dissertait sur la civilisation romaine, nous n’avions d’autres moyens, pour suivre, en direct, les événements qui venaient de secouer notre pays, que de nous brancher sur plusieurs stations étrangères.

Encore un drame de la politique de communication nationale, l’une des plus archaïques du monde arabe ! Ces chaînes arabes, qui défendent des intérêts bien connus, présentaient l’actualité brûlante de ce 11 avril à leur manière, en essayant de mettre en avant leurs points de vue, à travers des intervenants et des experts minutieusement choisis. En l’absence d’une réaction officielle ou d’analyses professionnelles pertinentes exprimées à partir de l’ENTV, l’Algérien est condamné à prendre pour argent comptant tout ce qui se raconte sur des télés dont le moins qu’on puisse dire est qu’elles sont orientées. Ceci pour la forme.

Quant à analyser ce qui s’est passé ce 11 avril, il faut d’abord relever que c’est la première fois qu’un symbole aussi important que le Palais du gouvernement, siège du chef du gouvernement et du ministre de l’Intérieur, entre autres, est ciblé d’une manière aussi directe par les terroristes ! On n’avait jamais vu cela durant les années sombres du chaos sécuritaire. Après cet attentat, il sera difficile de faire croire aux Algérois qu’ils sont en sécurité. Dans leurs têtes, ils se diront que ceux qui ont réussi à atteindre le bureau de M. Belkhadem peuvent frapper n’importe où.

Nous allons donc assister à une nouvelle remontée des peurs collectives qui va certainement altérer les efforts menés pour calmer la situation et instaurer un climat propice au travail, au décollage économique réel et au retour des investisseurs. C’est un coup très dur qui est porté au discours officiel clamant, presque quotidiennement, que la paix et la sécurité sont de retour. En choisissant de frapper le Palais du gouvernement, les exécutants de cet attentat ont choisi de frapper les esprits et on peut dire qu’ils ont réussi leur coup. Il reste à espérer que de telles attaques ne se reproduisent pas dans les semaines qui viennent, afin que cette angoisse, perceptible dès hier soir, ne se transforme pas en véritable psychose !

Les premiers qui vont être sur la sellette sont les services de sécurité dont l’expérience et les succès en matière de lutte antiterroriste sont cités en exemple. Mais, entre les années de feu où les objectifs étaient clairs et où la finalité politique ne s’apparentait pas encore à un vague combat contre la criminalité, mais s’intégrait dans une mobilisation nationale anti-intégriste ; entre ces années-là et l’Algérie de 2007, marquée par l’émergence d’un fort courant islamiste dans la société et la présence, au sommet de l’Etat, d’un mouvement islamoconservateur, la différence est de taille !

Initiée pour renforcer le caractère républicain de l’Algérie post-terrorisme et finir la crise par la victoire de la légalité et de la justice (voir les discours de M. Bouteflika de l’été 2005), la politique de réconciliation nationale a pris un tournant périlleux avec la mainmise des conservateurs. Le potentiel démocratique et républicain qui a soutenu la lutte anti-intégriste, ce mouvement populaire qui a enfanté des héros aux quatre coins de l’Algérie, a été vidé de son sens par une politique d’abandon et de renoncement dont on n’a pas fini de mesurer les conséquences néfastes.

Pour ne pas «choquer» les esprits, il fallait mettre l’assassin et sa victime sur un pied d’égalité. Des patriotes ont été dessaisis de leurs armes et, parfois, traînés devant une justice qui ferme souvent ses yeux quand il s’agit de «repentis». Les associations de victimes du terrorisme se transforment en soutiens actifs d’une politique qui s’éloigne peu à peu des principes édictés par le président Bouteflika à l’annonce de sa «réconciliation nationale» pour devenir une stratégie de blanchiment des crimes intégristes et de culpabilisation des services de sécurité !

L’Algérois qui se réveille ce matin en pleurant, encore une fois, les morts que livre sa ville à la bêtise humaine, n’est plus dans la logique des années 90 où le combat se déroulait entre les tenants de la modernité et ceux de l’arriération sociale et culturelle, beaucoup plus proches des talibans que des Ulémas. Cet Algérois, aigri et poussé au nihilisme par une politique d’appauvrissement de la majorité et d’enrichissement démesurée d’une minorité, cet Algérois que l’on croit berner par des promesses électorales et des discours d’un autre âge, ne comprend plus ce qui se passe !

Si le terrorisme est défait et qu’il ne compte plus que quelques centaines d’égarés, comment peut-il frapper encore si fort ? Nous laissons nos hommes politiques, si géniaux quand il s’agit de faire de la gymnastique et des acrobaties avec les mots, lui répondre… Pourtant, il est clair que si le terrorisme a été effectivement battu en 1998 en tant que menace politique pouvant mettre en péril le pays, il n’a pas été éradiqué d’une manière définitive.

Il a trouvé un nouveau terreau dans une Algérie désormais livrée à l’intégrisme, une Algérie où la modernité recule chaque jour un peu plus, où la culture n’existe que par les gesticulations officielles, une Algérie où les taux gouvernementaux du chômage sont une insulte aux jeunes diplômés qui errent d’administration en administration et de chantier en chantier, à la recherche d’un emploi qu’ils ne trouvent jamais, une Algérie où l’élite scientifique s’exile volontairement et où les hors-bord se transforment en boatpeople, une Algérie où les «prouesses» de l’agriculture se traduisent par des factures alimentaires faramineuses, une Algérie où les grands secteurs de l’industrie publique n’ont plus le droit d’investir alors qu’ils disposent souvent d’un matelas confortable de devises leur permettant d’agrandir leurs unités et de répondre aux besoins de l’économie et de la société…

Cette Algérie qui présente des taux de croissance positifs n’a pas réussi à faire revenir la confiance et la sérénité dans le cœur de ses jeunes, persuadés qu’ils sont marginalisés, exclus, victimes d’injustice et de «hogra». J’ai bien peur que les ressorts qui donnaient aux jeunes l’envie de continuer à se battre pour une autre Algérie et à attendre patiemment la décrue sont définitivement cassés.

A la morosité générale d’une vie sans attrait qui explique d’ailleurs pour une large part la violence persistance qui mine les rapports sociaux ainsi que les extrémismes qui poussent au suicide, à l’émigration clandestine ou au terrorisme, le désespoir pourrait s’aggraver dans l’ambiance sinistre d’un nouveau climat d’insécurité dont on espère qu’il n’aura pas le temps de s’installer ! Pour cela, il faut cesser de mentir. En reconnaissant d’abord que ce terrorisme qui a réussi ce qu’il n’espérait pas en 1994, n’est pas un phénomène en voie d’extinction.

Il faut remobiliser la société sur les thèmes anti-intégristes majeurs, ouvrir grandes les portes à la modernité, lancer des chantiers de l’emploi, arrêter le bradage de l’économie, mettre un terme à la désertification industrielle, repenser l’éducation, revoir la privatisation, secouer la justice, mener un combat sans limites contre la corruption… Il faut aussi cesser de mentir à propos de législatives qui n’apporteront rien de nouveau, si ce n’est davantage de divisions à l’intérieur des partis où il n’est pas possible de transformer tous les candidats en députés milliardaires !

Tant que l’argent est considéré comme le nouveau Dieu, tant qu’il continuera à diriger les hommes, à les corrompre, à les empêcher de parler librement, en politique ou dans les écrits de la presse, à les museler et à les priver de bon sens et d’équité, à les transformer en pilleurs et en égorgeurs, nous n’avancerons pas ! Puisse cet attentat remettre les pendules à l’heure et montrer au peuple et à ses dirigeants qu’il est encore temps de revenir sur le juste chemin, celui d’une Algérie digne, fière, libre, démocratique et résolument ouverte sur le troisième millénaire ! Cette Algérie-là n’aura pas peur d’affronter ses ennemis, d’ici et d’ailleurs.

Maâmar FARAH

Rediffusion (12 avril 2007)

P. S. : Cette fois-ci, la télé a fait un effort et montré les images des attentats pratiquement en direct. Depuis le 11 avril, d’autres bombes ont visé le sommet de l’Etat, montant d’un cran dans la hiérarchie de l’horreur ! Le chef de l’exécutif était même la cible d’un attentat à Batna. Aujourd’hui, c’est l’ONU et le Conseil constitutionnel… Et ça continuera tant que l’Etat ne fera pas une rupture radicale avec l’islamisme !

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