La culture du renoncement en marche
Des étudiants ont manifesté hier, à Ben Aknoun, après l’attentat. On pourrait croire que des étudiants de droit, de sciences politiques — rien que ça ! — et de communication — rien que ça bis ! — commenceraient par déplorer le décès de tant de victimes et la perte de certains de leurs camarades, puis dénoncer le groupe terroriste auteur du carnage et qui, au demeurant, en réclame la responsabilité. Et, ensuite, leurs capacités intellectuelles leur permettant d’entrevoir la responsabilité de l’islamisme, désigner l’idéologie du crime.
Non, au lieu de cela, notre intelligentsia en formation préfère la voie de la facilité : elle a l’avantage d’être du bon côté du sabre. Alors, interrogés par une consœur d’El Watan, nos manifestants commencent par démentir la paternité d’Al-Qaïda quant aux attentats. “Qu’on arrête de badiner avec Al-Qaïda et le GSPC !” dit une certaine Sarah, avec l’assurance de celle qui a tout compris et à qui on ne la fait pas. “Ils (ceux qui accusent Al-Qaïda et le GSPC) ne doivent pas mettre cela sur le dos de l’islam”, ajoute-t-elle. Admirez le raccourci de la jeune “intellectuelle” : accuser Al-Qaïda ou le GSPC, c’est mettre “cela” sur le dos de l’islam.
Avec tous les efforts (vidéos, photos, déclarations verbales et écrites, sites Internet et fourniture de documents aux chaînes de télévision disponibles pour l’information terroriste) que l’organisation terroriste fournit pour… communiquer sur ses activités terroristes, il faut faire de l’innocence d’Al-Qaïda une cause, pour la démentir aussi résolument.
S’il faut parfois admettre l’existence d’Al- Qaïda, et qu’il faut bien alors lui rattacher une occupation qui ne peut être que le terrorisme, il reste le recours à l’échappatoire américaine. “Ce sont les États-Unis qui, au Pentagone, font et défont le monde. Qui a créé Al-Qaïda ? Ce n’est là qu’un cachet conçu par la CIA…” déclame Hakim. Le discours idéologique se devine dans le manque de nuance du propos.
Tant de méfaits, à travers la planète, sont imputables aux États-Unis, mais sûrement pas celui du développement du terrorisme islamiste. L’usage d’unités islamistes en Afghanistan est le fruit d’une conjonction stratégique : celle de la stratégie du “containment” et de l’hégémonie islamiste. Depuis, ce qu’on peut reprocher aux Américains, c’est plutôt le zèle dans cette lutte antiterroriste, zèle qui les amène à développer des stratégies d’occupation et s’autoriser des méthodes condamnables en termes de droits de l’Homme.
Mais, c’est plus facile de charger une superpuissance ; cela autorise notre renoncement devant une forteresse inexpugnable. Une démission avouée par Amine qui se fend “dignement” de sa dérobade : “Je suis décidé à passer le onzième jour de chaque mois au bled.”
Avec cette mentalité de défaite, la jeunesse est bien préparée à vivre sous un régime qui prend politiquement en charge sa démission. “On est en train de creuser la tombe de Bouteflika”, dénonce Zoheir, étudiant juriste qui, dans tout cela et au milieu du carnage, semble d’abord craindre… pour le “troisième mandat”. Le “Qui tue qui ?” et l’anti-américanisme vulgarisés, le conservatisme peut composer avec un islamisme désincarné, sans lien avec le terrorisme. Pour cela, il fallait former les générations de la démission.
Mustapha Hammouche