Bain de sang et kebch El-Aïd
Après quelques revers essuyés par Al- Qaïda et quelques semaines d’accalmie, le bilan épouvantable des deux attentats d’Alger vient rappeler la persistance de l’œuvre destructrice de l’islamisme en Algérie.
Le massacre suscite invariablement l’écœurement général sans engendrer un changement d’attitude. Le peuple s’en tient globalement à exprimer sa désolation et sa désapprobation et l’État à rabâcher les lieux communs sur l’incompatibilité du crime avec la religion et l’affaiblissement du terrorisme précisément exprimé… par la barbarie de ses actes.
Une fois le devoir d’écœurement ou la sincère nausée évacués, et les malheureuses victimes enterrées, citoyens et officiels s’en retourneront à leurs différentes besognes et à leurs ordinaires soucis : le prix du mouton, pour la plupart, le “troisième mandat” pour beaucoup. Bouffe et provisions de bouffe : pouvoir et provisions de pouvoir. La “réconciliatrice nationale” veille sur nous ; il faut qu’elle dure.
Elle veille plus précisément sur nos consciences, sur nos capacités à nous révolter, même devant le massacre de nos concitoyens. Le spectacle des morceaux de chair fumante ne nous arrache plus que le haut-le-cœur de l’instant. Passé les heures, les jours de malaise, nous retournons à notre confortable optimisme de vaincus : continuer à nous réconcilier avec nos “frères égarés” ; la paix viendra d’elle-même.
Dans sa réaction, Benita Ferrero-Waldner, commissaire européenne aux Relations extérieures, espère que “les responsables de ces horribles actes seront traduits en justice”. Si elle savait le nombre de responsables d’“horribles actes” qui jouissent paisiblement de leurs pensions d’anciens terroristes, de leur régularisation professionnelle et sociale et de leurs reliquats d’allocations familiales ! Tenez, le jour même du double attentat d’Alger, le tribunal de Sidi Bel-Abbès jugeait — une fois n’est pas coutume — un terroriste qui s’est rendu après douze ans de maquis. Plusieurs attaques contre des unités de l’armée à l’ouest du pays, un assaut contre un camp de vacances à Tipasa et sûrement d’autres “exploits” ne lui ont coûté que… cinq ans de prison, l’équivalent de la peine maximale pour un vol de téléphone mobile. Ces derniers mois, parallèlement au discours surréaliste de la réconciliation, l’engagement des forces de sécurité dans la lutte antiterroriste a connu une certaine efficacité. Ce qui a probablement réduit le potentiel meurtrier des islamistes.
Sur les lieux mêmes de l’attentat, le ministre de l’Intérieur a eu cette étonnante réflexion : “Il n’y a pas plus simple que de recourir à de tels actes.” Rassurant ! La question serait donc celle de la voie de la facilité empruntée par les terroristes dans leur choix des armes, et non celle de savoir pourquoi est-ce si difficile de prévenir de tels actes.
Avant de retourner à nos soucis de “kebch El-Aïd”, pourquoi la victime que chacun de nous aurait pu être ne se dirait pas : compatissons avec les victimes et, pour une fois, pas de réjouissances ni de ripaille cet Aïd ! À moins d’avoir le ventre plus grand que le cœur, la perte sacrificatoire de quelques dizaines d’entre nous vaut bien un deuil. Pour ce qu’on n’a pas fait pour leur éviter, à eux et à d’autres, cette mort absurde.
Mustapha Hammouche