Où va l’argent du pétrole ?
La Commission des banques, du logement et des affaires urbaines du Sénat américain a entendu, ce 14 novembre 2007, le témoignage de M. Edwin M. Truman, de la prestigieuse institution d’expertise et d’évaluation, Peterson Institute, sur les acquisitions des Fonds souverains et autres investissements aux Etats-Unis (Sovereign Wealth Fund Acquisitions and Other Foreign Government Investments in the United States).
Il a également été invité à évaluer leurs implications sur l’économie et la sécurité nationale de cette hyperpuissance. Avec 43 milliards de dollars de placements (bloqués pour une rémunération annuelle de 5%) en bons du Trésor américain, l’Algérie n’a pas échappé à l’expertise et à l’appréciation de M. Truman, comme on le verra plus loin. Dans le passé, ces fonds étaient décrits comme «des fonds de stabilisation des cours des ressources non renouvelables », ou encore des «fonds d’affectation spéciale ».
Le premier des fonds connu a été créé par l’île de Kiribati, dans le Pacifique, en 1956, pour gérer les recettes provenant des gisements de phosphate. D’autres ont vu le jour à la fin des années 1970, dans un contexte inédit d’accumulation des recettes d’exportation de pétrole. Enfin, une douzaine de fonds au moins ont été constitués depuis 2000. Le FMI les évalue à 2900 milliards de dollars, une manne non négligeable, si on la compare aux quelque 10 000 milliards de dollars que pèse la capitalisation de l’ensemble des Bourses européennes.
Ces fonds sont surtout en croissance très rapide : une étude de Morgan Stanley a projeté leur poids, dans dix ans, à plus de 15 000 milliards de dollars. Ce qui en ferait des acteurs très importants, voire dominants dans certains secteurs de la finance. Leurs ressources proviennent, pour l’essentiel, des recettes d’exportation des ressources naturelles et, accessoirement, des excédents budgétaires, des recettes des privatisations, et d’autres réserves en devises.
L’honorable témoin du Sénat brosse un tableau des Fonds souverains, dont le nôtre, en cinq points. Premièrement, les Fonds souverains alimentés par l’explosion des prix des richesses du sous-sol, notamment les hydrocarbures, ont atteint une importance relative croissante, et sont là pour durer.
Deuxièmement, l’existence et l’importance croissante des investissements qu’ils véhiculent soulèvent de profondes questions quant à la structure et le fonctionnement du système financier international. Troisièmement, la poursuite de ces tendances ne constitue pas, pour le moment, une menace pour la sécurité nationale et l’économie des Etats-Unis. Quatrièmement, il reste à améliorer la base d’informations statistiques américaines liée à l’administration de ces investissements. Cinquièmement, le gouvernement américain devrait continuer d’encourager activement les gouvernements étrangers à poursuivre les grands flux transfrontières de ces investissements, dans leur intérêt et dans celui des Etats-Unis.
Ce qui n’exclut pas «un certain nombre de risques». Le premier est le risque que les gouvernements échouent dans la gestion de leurs investissements à l’extérieur. Le second est qu’ils le fassent pour accroître leur pouvoir politique ou économique en encourageant des entités qu’ils possèdent ou contrôlent à être des «champions nationaux à l’échelle mondiale». Ce d’autant que les fonds publics donnent l’impression de privilégier l’investissement dans des secteurs de souveraineté, comme l’énergie, la défense, les infrastructures et les Bourses…
Le troisième risque est la résurgence du protectionnisme financier dans les pays d’accueil. Le quatrième est «que, dans la gestion de leurs actifs internationaux, les gouvernements introduisent troubles et incertitude dans le fonctionnement des marchés.» Le cinquième et dernier risque est associé à la corruption qui affecte le mouvement de ces fonds souverains. Autant de risques plaident pour «la création d’une norme ou d’un ensemble de meilleures pratiques pour les investissements internationaux, en général, et pour les fonds souverains en particulier ».
Ce faisant, le témoin rejoint les résolutions connues du G-7 appelant à «renforcer le cadre régissant les investissements transfrontaliers », de même que la volonté du FMI, de la Banque mondiale ou de l’OCDE à «promouvoir un dialogue sur l’identification des meilleures pratiques». Ces pratiques portent sur quatre catégories de paramètres dans lesquels notre pays n’affiche pas bonne prestation. Sur un total possible de 25 points, le meilleur score est de 24 enregistré par la Nouvelle-Zélande, suivie de près par la Norvège. 25 est la note agrégée des sources consultées parce que «systématiques, disponibles en permanence, d’accès public», y compris les rapports du FMI et de la Banque mondiale.
L’Algérie obtient une note de 4,5. Dans le tableau de bord qu’il présente comme «point de départ pour l’élaboration d’un ensemble de meilleures pratiques pour la gestion des fonds souverain », l’Algérie occupe une place tout aussi obscure que modeste. «Nous manquons d’informations suffisantes au sujet de l’Algérie, l’Iran, Oman et le Soudan», prévient l’auteur.
L’Algérie affiche un excédent de 134 US dollars milliards de dollars américains répartis en réserves de change (91) et en placements aux USA (43). Le détail des quatre indicateurs de mesure de l’activité du Fonds de régulation des revenus pétroliers mérite qu’on s’y attarde.
(1)- La structure. Ce paramètre crédité d’une note de 3 porte sur «la clarté des objectifs du fonds, les sources de son financement, l’utilisation de son capital et de ses revenus et son osmose avec les besoins du pays».
La structure du fonds renvoie à cinq sous-paramètres :
- l’objectif : 1
- le traitement fiscal : 1
- sources des revenus : 1
- usage du fonds : 0
- intégration au budget : 0
- règles de conduite suivies (Guidelines followed) : 0
- la stratégie d’investissement : 0
- l’évolution de la structure : 0
- la dissociation (Separate from) des ressources extérieures (international reserves) : 1
(2)- La gouvernance est une catégorie qui porte sur «les rôles respectifs du gouvernement et des gestionnaires, l’existence de la gouvernance d’entreprise et des principes éthiques».
Elle est affectée d’un petit score :
1 - tiré de la somme de quatre sous-paramètres :
- rôle du gouvernement : 0
- rôle du gestionnaire : 1
- règles de conduite pour la gouvernance d’entreprise : 0
- règles de conduite éthiques : 0
(3)- La transparence et la responsabilité sont une catégorie de mesure «fondée sur le caractère, public et régulier, des rapports sur les placements et le rendement de chaque fonds». L’Algérie est notée 0,5. Elles résultent de trois sous-paramètres légitimement mal notés comme on peut le constater :
- rapports : annuels (0), périodiques (0)
- investissements : taille du fonds (0,5), retours (0), types (0), location (0), opérations spécifiques (0), composition (en devises) (0), Mandat (0)
- Audit : régulier (0), publié (0), indépendant (0)
(4)- Le comportement (Behavior) tient à un seul paramètre : la vitesse d’ajustement ou de réaction (Speed of Adjustment) – il est nul (0).
Si l’exercice de M. Truman (dans sa quête insatiable à suivre la trace du moindre petit cent) a le mérite de lever une partie du mystère qui entoure la naissance et la gestion de notre Fonds de régulation, force est de reconnaître à nos barrons une force inégalée à maintenir l’opacité sur un bien qui revient de droit à la collectivité nationale. Réagissant à l’une de nos précédentes chroniques relative à cette même question des Fonds souverains, un lecteur fort bien inspiré leur avait suggéré de «laisser les ressources du sous-sol là où elles sont aujourd’hui, laissant aux générations futures le soin d’en disposer comme bon leur semblera ». Il insinuait naturellement qu’en l’état actuel des choses on ne pouvait espérer tirer plus mauvais usage. Lequel ?
Ammar Belhimer