UNE JOURNÉE POUR RESPIRER !
11 malheureux petits degrés sur le tarmac de l’aéroport Mohamed-Boudiaf de Constantine. Ça me change de la canicule qui a étouffé Alger ces dernières 48 heures. Aâmmi Ahcène Bouaouiche m’attend de pied ferme. Il prend d’autorité mon programme en charge : «Hakim ! Pas question cette fois-ci d’arriver idiot à Constantine. On va au mausolée Massinissa.
Mais d’abord, des beignets brûlants et du thé encore plus brûlant à El Khroub !» Je me laisse prendre par la main, comme un enfant. Peut-on avoir meilleur guide, meilleur tuteur à Constantine que Aâmmi Bouaouiche ? Les beignets sont délicieux. Et merde au cholestérol ! Assomption de la colline vers le mausolée. Traversée de cités posées là, comme autant de blocs incongrus.
Et tout au bout, d’autres blocs, ceux d’un tombeau polémique. Un mince halo de brouillard donne à l’endroit une dimension quasi-irréelle : «Tu vois Hakim ! On a voulu le restaurer. On a grossièrement assemblé avec du ciment les pierres tombées à terre depuis des lustres.» J’avoue que je comprends mieux le coup de colère de Khalida Toumi lorsqu’elle a vu là l’«horreur» qu’on a voulu lui faire inaugurer. On ne donne pas à des maçons le tombeau de Massinissa à restaurer.
Nous laissons le guerrier à un repos incertain, et répondons aux appels de plus en plus inquiets de Hannachi. Mon ami Yacine. Libraire ? Non ! On ne peut pas être seulement libraire à Constantine, en Algérie. Comme me le fera remarquer ce premier lecteur venu à la rencontre : «Hannachi n’est pas libraire. Lui et sa jeune équipe sont des résistants !» Le thé défile.
Et l’envie d’arrêter cette maudite horloge. De prolonger les discussions. Lounis, son épouse, leurs enfants qui donnent tout de suite à la Librairie Média Plus un volume aux dimensions infinies de la joie juvénile. Lounis qui parle avec une lumière dans les yeux du spectacle sur lequel ils sont tout un groupe à travailler et qui met en scène le drame des harragas.
Lounis qui ne comprend toujours pas que l’on enferme les harragas au lieu de les libérer de leur envie de partir, de leur cauchemar. Ces universitaires désabusés qui me racontent que grâce à la visite prochaine de Sarkozy à Constantine, ils ont pu enfin voir les carreaux de leur faculté, cassés depuis des siècles, être réparés. Hassen et Irak qui déboulent en début de soirée, presque à la fermeture : «Désolé Hakim. Nous venons de Ferdjioua. Nous voulions juste te voir. T’embrasser.»
On s’embrasse. On se parle. Comme autant de ballons d’oxygène dans notre contrée privée de parole citoyenne. Dehors, les supporters de foot ajoutent au merdier de la circulation constantinoise. En repartant vers l’aéroport, je comprends que les pauvres supporters ne sont qu’à moitié responsables des bouchons nocturnes monstres.
Du côté de la résidence officielle, des bulldozers, des camions s’affairent à «embellir» les lieux où passera Sarko. Avec ou sans Enrico ? «Qu’importe le chansonnier, la poésie de Constantine est toujours là, elle», me rappelle Mohamed Agabou, mon aîné de la Chaîne III. Mohamed des directs du stade.
Mohamed et cette langue qu’il a enfin le temps de ciseler comme il sait si bien le faire, loin des contraintes du CDM, des «temps et scores» du studio d’Alger, le soir, au bout de cette nuit partagée, dans ma dernière halte avant l’aéroport, par la grâce d’un avion annulé et d’un vol reprogrammé tard, très tard.
C’est peut-être la première fois que je ne ronchonne pas vraiment contre un coucou défaillant. Mohamed Agabou qui pose peut-être la seule vraie question, ce soir : «Mais où est donc passé Bob ?» C’est vrai ! Boubekeur est en retard ce soir. Non ! Il est juste en avance sur la prochaine nuit. Merci Constantine ! Je fume du thé et je reste éveillé, le cauchemar continue.
Hakim Laâlam