La République et les cheminots !
Vous avez de la mémoire, bien sûr ? Alors, non pour la mélancolie mais pour les blessures de nos mémoires, souvenez-vous des ces terribles années de 1993 à 1997 et de ces voyageurs descendus des fourgons ou des bus et égorgés sur les bords des chemins, de ces jours où nous sortions de chez nous le ventre noué par la peur, de ces jours où nous avons réappris la géographie de notre pays par les noms de la mort et de la terreur.
C’est déjà loin, me diriez-vous ! Au point d’oublier Oued Djer, Palestro, et de tant d’autres noms à vous faire blêmir ? Imaginez maintenant, imaginez un instant, un seul, que sous l’effet de tant de morts, de tant de risques, de tant de peur que les cheminots, les vrais, ceux du train, aient refusé de convoyer voyageurs et marchandises. C’était la chute inéluctable de la république. Ils ne l’ont pas fait !
Tous les jours le train a pris le départ et si dans les gorges de Oued Djer ou celles de Palestro ou sur tous les tronçons de la mort les cheminots priaient Dieu tout bas en se tenant le ventre, récitant ente leurs dents les sourates idoines, ils n’ont jamais cessé le travail malgré les déraillements, les sabotages, les camarades morts et cette peur qu’il fallait vaincre, qu’il fallait surmonter. Maintenant vous pouvez expliquer la victoire sur le terrorisme par la seule action des services de sécurité.
Moi, je n’y crois pas. Il faudrait y ajouter l’action des patriotes, des Zidane, des Mohamed Sellami et de cet ancien moudjahid que le pouvoir a jeté en prison. Mais plus que tout, je crois que cette victoire doit l’essentiel à tous ces anonymes qui ont refusé de céder sans protection et sans armes au chantage terroriste, ces oiseleurs, ces artistes, ces enseignantes qui ont payé le prix fort avec leurs collègues masculins et ces cheminots.
Oui, ces cheminots qui ont convoyé de jour et de nuit l’essence, le mazout, le blé, la farine, la semoule et tant d’autres produits vitaux. Ces cheminots qui ont gardé à la république l’unité de son territoire. Une telle épreuve se paye cher en hypertension artérielle, en diabète, en vieillissement prématuré, en stress, en fatigue nerveuse.
Moi, je vous dis ce que doit la République à ces hommes et à ces femmes à qui elle dispute un salaire qui leur permet de vivre et d’élever les enfants. Et vous avez le spectacle indécent de ce syndicat du pouvoir qui se mobilise contre ces travailleurs, le spectacle indécent de ce pouvoir qui les traîne devant les tribunaux quand il aurait fallu les entourer des soins nécessaires et du respect qu’ils méritent.
Mais c’est vrai aussi que ces cheminots, après les enseignants, annoncent le réveil des luttes sociales contre l’ultralibéralisme injustifié et injustifiable de ce pouvoir. Il doit les mater avant la tache d’huile. Recevront- ils, pour ce qu’il nous ouvre comme espérance sociale, l’aide et le soutien des syndicats autonomes et des autres forces attachées à la dignité de notre peuple ?
MOHAMED BOUHAMIDI