L’étrange dévouement de Chekirou

Salah Chekirou, directeur central à l’Anep et membre du comité d’organisation du 12e salon du livre, a essayé de s’expliquer dans le Soir (15 novembre) sur les incidents tragicomiques qui ont terni le rendez-vous d’Alger. Comme de bien entendu, il ne pouvait éluder ce qui en a été sans doute l’événement le plus traumatisant et le plus significatif : la fermeture brutale du stand des éditions Inas. Il nous apprend que cet acte de force a été commis parce que les éditions dirigées par Boussaad Ouadi, un excellent professionnel, avaient annoncé par voie d’affiche une vente-dédicace d’un ouvrage de Mohamed Benchicou, Les geôles d’Alger, non prévu au programme.

Selon les explications embarrassées de Salah Chekirou, le branle-bas de combat aurait simplement été déclenché parce que le titre du livre de Benchicou ne figurait pas sur la liste remise par les éditions Inas au comité d’organisation du salon, liste qu’il tenait d’ailleurs à la disposition de notre consœur qui l’interviewait. On voit d’ici les scrupules avec lesquels le comité d’organisation a dû veiller à l’application stricte et entière d’un soi-disant règlement intérieur.

On compare la liste déposée avec celle des titres exposés et on s’aperçoit que, dans la masse, il y a un intrus. Et comme par hasard, c’est celui d’un journaliste qui n’est pas en odeur de sainteté. Quand bien même ç’aurait été le cas, pourquoi au lieu de négocier, de chercher à comprendre, envoie-t-on de gros bras fermer violemment le stand pour empêcher, coûte que coûte, la vente-dédicace? Dans un habile exercice d’euphémisation, Salah Chekirou désigne le coup de force avec une pudeur inversement proportionnelle à la réalité de la violence de l’intervention.

Il dit ceci : «Les choses ont viré vers une autre pente et plus personne ne pouvait les maîtriser jusqu’au moment où il y a eu fermeture du stand.» Personne, vraiment ? Comment une structure étatique capable d’organiser un salon de cette importance peut-elle s’avouer désarmée devant un «incident» où «personne ne pouvait plus maîtriser» personne ? La réponse, évidente, n’est pas celle, interrogative, dubitative, que donne candidement l’ami Chekirou. Si personne ne pouvait maîtriser la situation, c’est parce qu’un ordre de fermer le stand par tous les moyens a été donné. Point barre.

Pas sérieux, ça, comme explication ! Pas fiable ! Il faut trouver mieux. Notre consœur qui interviewe Salah Chekirou démolit cet argument plutôt léger en cinq sets. Elle cite un communiqué des éditeurs indépendants attestant avoir exposé des livres qui ne figuraient pas sur la liste remise au comité d’organisation. Là aussi, Chekirou joue au poker : ce n’est pas vrai, dit-il, je peux vous montrer les listes. Mais les stands, peut-il les montrer ? Pas très sérieux, une fois de plus ! Le plus étonnant dans toute cette affaire, ce n’est pas tant l’acte de censure caractérisée frappant Benchicou et les éditions Inas.

Ce n’est pas la première fois qu’on interdit arbitrairement des livres au salon d’Alger et il eût été étonnant que la fixation obsessionnelle sur Benchicou qui aveugle les plus hauts responsables de ce pays ne trouve pas de zélés relais dans les strates subalternes d’une administration courtisane. Le plus stupéfiant est cette facilité avec laquelle Salah Chekirou semble endosser un dossier qui ne le concerne pas. Ou si peu. A en juger, du moins, par ceci, rapporté par notre consœur : «Nous avons assisté en direct à cette situation presque comique où les retombées de cette affaire ont été confiées à la va-vite aux soins de Salah Chekirou qui ignorait tout au départ.

Face à son patron, ce gestionnaire a tout de même accepté de porter cette lourde responsabilité de dernière minute contrairement aux autres membres du comité qui se sont défilés.» Il n’est pas difficile de comprendre que les responsables de l’Anep et du salon du livre s’arrogent le droit de décider, comme au temps de la glaciation, qui se poursuit du reste, de ce que doivent ou ne doivent pas lire les Algériens. Il n’est pas particulièrement compliqué de comprendre que, en vertu de ceci, ils se sont bousculés dans un zèle répressif pour complaire aux chefs qui ont plutôt de quoi en vouloir à Benchicou.

Tout cela entre dans une évaluation banale de la situation. Comme entre dans la même banale évaluation de la situation d’un régime qui corrompt la verticalité des échines, le fait que ceux qui décident en dedans se dissimulent au dehors, ne jouant même pas les fanfarons comme cet ancien responsable qui jurait que, lui, vivant, certains livres ne seraient jamais exposés dans «son» salon. Ceux d’aujourd’hui décident, puis ils se tirent.

Ahmed Boucena, le premier responsable du salon, et ses collaborateurs se sont volatilisés dès qu’il s’est agi d’expliquer aux journalistes les raisons «réglementaires », cela va sans dire, qui président à l’acte de censure commis au préjudice des éditions Inas et de Mohamed Benchicou. Le plus étrange dans cette histoire est la promptitude de Salah Chekirou à offrir son dos large à toutes les attaques et à jouer, seul contre tous, les Zorro. Pourquoi se met-il ainsi en avant quand ses supérieurs hiérarchiques et ses collègues se débinent ? Pourquoi cet étrange dévouement à une cause qui n’est pas particulièrement honorable ? Je donne ma langue au chat !

Arezki Metref

P. S. de là-bas : Les milices du Hamas ont tiré sur la foule. Des Palestiniens, venus rendre hommage au chef historique de la résistance, Yasser Arafat, dans une cérémonie organisée pour la commémoration du deuxième anniversaire de sa mort, sont tombés. Les chefs du Hamas déclarent que leurs tueurs ont été provoqués par des manifestants armés. Le Fatah dément. Le fait est que des Palestiniens ont tourné leurs fusils sur d’autres Palestiniens au grand ravissement d’Israël.

La prévision de Frantz Fanon trouve une de ses applications. Le théoricien de la Révolution algérienne prédisait que le colonialisme se poursuivrait par les luttes intestines entre colonisés eux-mêmes. Sont-ce vraiment des luttes intestines ? Il faut se rappeler que, autant que les mouvements jihadistes créés au Pakistan par les Etats-Unis pour combattre le régime afghan soutenu par l’URSS, la naissance du Hamas palestinien a été plus qu’aidée par les services secrets israéliens qui destinaient le parti chiite a être jeté aux pieds de l’OLP.

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