Une hirondelle pour Paris
Personne ne demande vraiment à Yasmina Khadra de faire des déclarations politiques, d’autant plus que quand il l’a fait, ça n’a pas été toujours avec bonheur. Par contre, sa carrière littéraire peut être considérée comme un modèle de réussite. Qu’on aime ou pas ce qu’il écrit, personne ne peut nier que Mohamed Moulessehoul est un écrivain accompli que toutes les grandes maisons d’édition souhaiteraient avoir avec un contrat d’exclusivité. Ses livres sont traduits dans plusieurs langues et il est invité dans les espaces littéraires du monde entier. Orateur peu brillant, il est arrivé que ses difficultés dans cet exercice, conjuguées à une pensée politique en déficit de structure, il a souvent surpris, voire dérouté.
Ceux qui lui vouaient une admiration sans bornes pour avoir “gardé sa dignité” ont eu à plusieurs reprises l’occasion de déchanter. Non pas que Yasmina Khadra a, à un moment, manqué de dignité, mais le sens du mot ne doit pas être le même pour tout le monde. Ceux qui croyaient tenir en lui un “digne” relais du discours officiel n’ont pas toujours été rassurés et ceux qui l’ont vite catalogué dans une certaine opposition en ont eu pour leurs frais. Si l’officier Moulessehoul admirable de loyauté a toujours défendu l’honneur de l’armée, l’artiste brouillant et parfois gauche a toujours pris le relais vers une imprévisible direction. Si on l’a vu défendant vaillamment un projet de société qui est naturellement le sien, on l’a aussi surpris dans d’autres rôles moins évidents, surtout qu’en la matière, il a souvent été loin de maîtriser son sujet.
C’est le cas quand il s’est lancé dans d’aventureuses explications des motivations sociales des soldats du terrorisme ou quand il a dressé de folkloriques profils psychologiques de l’islamiste guerrier. Le grand mérite de Yasmina Khadra est cependant dans le fait d’avoir réussi avec son seul talent intrinsèque. Dans un environnement parisien où il n’est pas facile de se faire un nom et une place, il a percé sans l’artifice exotique et surtout sans emprunter les sentiers tendance du moment. Il y a bien quelques clichés, éculés mais toujours efficaces, dans sa littérature, il n’a pas cédé cependant à la tentation de quelques bras trop généreusement ouverts pour lui esquisser quelque perspective sérieuse. A côté des sergents déserteurs, il était le commandant en retraite. Face aux faux artistes débarqués en France avec des “dossiers de menaces terroristes et de persécution du pouvoir, il est arrivé avec déjà quelques livres et un rêve humble de “devenir écrivain”.
Il n’a été ni une caisse de résonance ni un opposant enflammé. Pour tout dire, il n’était pas vraiment un “sujet intéressant” pour une presse française plutôt avide de sensationnel. En quête permanente de têtes de turcs à ridiculiser ou de porteurs d’allumettes à embraser les plateaux, la presse française de ces dernières années s’est rarement intéressée à des profils comme celui de Yasmina Khadra. C’est lui qui a été à son assaut, par sa production régulière et sûrement de qualité si l’on s’en tient au succès en librairie et aux faveurs de la critique.
Personne ne demande à Yasmina Khadra de faire des déclarations politiques ou autres, mais voilà, il en fait. Dans la dernière, il s’inquiétait de l’avenir de sa liberté de ton maintenant qu’il est installé comme directeur du Centre culturel algérien à Paris. Encore une fois maladroit, il ne doit apparemment pas savoir qu’il accable vraiment par ce propos et dans quels termes ! Ceux qui l’ont nommé seraient donc implicitement susceptibles de lui demander de renoncer à “sa liberté de ton” ou lui-même qui n’exclut apparemment pas l’éventualité d’arrêter de dire ce qu’il pense.
Et il commence plutôt bien, puisque sa “seule feuille de route est la confiance du Président”. On ne sait pas si cette confiance veut dire liberté d’initiative pour réanimer une institution grabataire ou alors l’assurance en haut-lieu qu’il fera ce qu’on lui dira de faire. Parce qu’en définitive, c’est plus important que sa liberté de ton, surtout qu’il se dit prêt à “mettre en veilleuse sa production littéraire et son activité personnelle pour faire rayonner ce centre”.
Slimane Laouari
Du coq à l’âne : Hamza Yacef encore : “Oui, je peux venir au MCA”. Ce club est décidément frappé de malédiction.