Social et rente
Les députés insistent pour que le délai d’incessibilité des logements sociaux, porté à quinze ans par le projet de loi de finances pour 2008, soit ramené à, au plus, dix ans. Pourquoi la question de la rétrocession des habitations à caractère social intéresse tant les élus du peuple ?
On pourrait croire que les veuves et les opprimés ont quelque rapport de lobbying sur le pouvoir législatif pour l’amener à assurer la cession ultérieure des rares droits sociaux que certains d’entre eux arrivent à arracher.
Pourtant, le débat n’est pas sans lien avec la nature rentière de notre État. Ce système de partage de la richesse publique n’étant pas assumé par des régimes réputés socialistes, puis démocratiques, la principale modalité de répartition de la rente reste la corruption. Le procédé en est simple : placé, plus précisément nommé, en position d’user de moyens publics pour s’enrichir, l’heureux “élu” du système peut disposer à sa guise des moyens institutionnels pour améliorer sa situation sociale. Ce détournement de fonction se fait par divers procédés : en exploitant les structures et les matériels publics, en négociant leurs concessions, en faisant payer leurs droits aux citoyens et surtout en marchandant les privilèges qui sont de sa prérogative et qu’il peut distribuer à sa guise et en disposant de la mission d’accorder des marchés publics.
Tous ces décideurs, y compris ceux déposés au plus bas de la hiérarchie, et tous leurs superviseurs, tous les personnels des organes de contrôle et de surveillance ont la possibilité de se laisser tenter par la malversation, par une espèce de délégation tacite de pouvoir. La condition en est d’accéder à la fonction “rentable”. C’est pour cette raison que la corruption a quelque chose de cancérigène : plus l’entourage est mouillé, plus on se sent à l’abri de la dénonciation. À échelle sociétale, la pratique devient consubstantielle au système d’État.
La situation assure la solidarité du dispositif institutionnel. D’une part, elle prémunit contre toute velléité d’assainissement de ce même dispositif : difficile de prendre le risque de toucher à un équilibre précaire. D’autre part, le corrompu n’a pas d’autre choix que celui de soutenir le système, l’entité qui a le pouvoir de nommer et… de faire élire. Il est naturellement conservateur. Il n’est pas de lutte possible contre la corruption sans lutte pour le changement de système politique.
Et si la rente est suffisamment abondante pour permettre une prolifération cancéreuse des bénéficiaires du système, elle constitue une force politique. Les plus probes n’ont que le choix de s’adapter ou d’émigrer à la marge.
L’action sociale de l’État n’échappe pas à la logique rentière du système. Comme pour les licences d’importation de véhicules des veuves de chahid et ayants droit, ceux qui profitent du “marché du social” ne sont pas les plus démunis. Vendeurs et acquéreurs se recrutent dans les niveaux aisés de la société. Mais, c’est surtout l’industrie des indus attributaires et des “recommandés” qui est à l’origine de ce débat sur la cession des immeubles sociaux.
La rapine ne touche pas que le pétrole. Les “F1” de la misère et les “chalets” du malheur ont aussi leurs prédateurs. Et cela se ressent jusque dans les débats parlementaires.
Mustapha Hammouche