Novembre, aujourd’hui

Comment ne pas penser, à chaque 1er Novembre, au destin de ce pays, un tumulte qui se poursuit depuis des siècles et qui s’exacerbe plus qu’il ne s’apaise depuis l’indépendance ? Comment ne pas avoir une pensée émue et reconnaissante pour toutes celles et tous ceux qui, à la fleur de l’âge, ont sacrifié leur vie parce que, pour eux, pour nous, la liberté est un idéal qui plane au-dessus de tout ? Comment ne pas évoquer tous ces patriotes, dépossédés de leur identité, exclus de leur propre histoire, éduqués dans l’imaginaire et la représentation du conquérant ? Par la seule force de leur conviction, en dépit de la monstrueuse disproportion des armes, ils sont arrivés à peser sur l’Histoire dont leur peuple était exclu, en l’y réintégrant.

Comment accepter d’ajouter une strate d’oubli sur ces militants et ces militantes anonymes ou non, héroïques ou non, qui ont dénoué, au fil des ans barbelés, maille par maille, l’immense prison coloniale alors qu’elle était, pour beaucoup, la réalité illusoire qu’avait le moulin à vent pour Don Quichotte ? Sous les flonflons factices et trompeurs de la célébration officielle par un pouvoir qui reconnaît lui-même un million de faux moudjahidine, comment ne pas avoir une pensée compatissante et solidaire pour ceux parmi ces militants encore vivants qui voient s’effilocher le rêve de leur vie, pétri dans les larmes, le sang mais aussi l’espoir. Ce rêve, auquel ils ont cru, pour lequel ils ont œuvré et combattu, s’effrite sous les coups de boutoir des forces de l’injustice qui, en une seule et unique imposture, réussissent la prouesse de mimer les colons tout en célébrant de façon totémique Novembre.

Mais plus qu’aux autres, qu’à tous les autres, comment ne pas penser tout particulièrement à ces vieux militants trahis dans leur rêve qui, à plusieurs reprises au cours d’une vie à l’approche aujourd’hui de son crépuscule, ont essuyé la confiscation de leurs combats et qui continuent, malgré tout, contre tout, à croire que ce n’est pas fini et que le destin des peuples est régi par le même principe que celui des individus : tant qu’il y a la vie, il y a l’espoir ! Comment ne pas exprimer une affectueuse admiration pour ces vieux militants qui en ont vu de toutes les couleurs, qui ont connu toutes les cassures des espoirs communs et subi les trahisons des leurs et qui, tannés par les défaites provisoires, continuent à croire à leur idéal.

Dans la déliquescence d’aujourd’hui, s’il y a une leçon à tirer de Novembre, ce n’est bien sûr pas l’emphatique héroïsation de l’Histoire à la source de laquelle on veut puiser une légitimité placée au-delà de celle des urnes. Ce ne sont pas non plus les maquillages même pas subtils que les retoucheurs de photos de famille opèrent à coups de hache pour présenter la lutte anti-colonialiste comme une histoire lisse et unanimiste, menée par des anges, dénuée de contradictions, de déchirements, de trahisons, de conflits de pouvoir. S’il y a une leçon à tirer, il faut la prendre de ces militants qui ont parcouru tout le tumulte de l’histoire de ce peuple, qui ont vu l’objet de leur idéal et le but de leur vie transformé en gâteau que se partagent des combattants de la troisième mi-temps.

Qui ont vu le terrain politique occupé entièrement par les mêmes, sans qu’aucune force contraire, qui ne leur soit rattachée d’une manière ou d’une autre, ne puisse s’exprimer, ce qui est une régression par rapport à l’époque coloniale. Qui voient les couches des populations les plus défavorisées retourner dare-dare au statut d’infracitoyens qui était celui des Algériens sous la colonisation. Et qui, même ce spectacle de désespoir sous les yeux, ne ruminent pas l’amertume et l’aigreur d’anciens combattants oubliés à la cérémonie des médailles.

En contrepoids de la démobilisation des jeunes générations qu’obtiennent avec une relative aisance les maîtres du pays, il y a la vigilante espérance entretenue par ces vieux militants de toutes les étapes, revenus de tous les fronts sans baisser la garde et sans céder au défaitisme programmé. Où sont-ils, ces guetteurs du jour ? Vous ne les avez jamais rencontrés dans ce paradis du cynisme, du scepticisme, du pessimisme où les meilleures volontés se liquéfient en désespérance et en «digoutage». Vous ne les rencontrez pas, sans doute parce que vous regardez là où ils ne sont pas. Ils ne sont pas, bien sûr, dans les étages du pouvoir à donner le piteux spectacle d’une parfaite dévalorisation du politique.

Ils ne sont pas non plus habillés en chiffonniers à se disputer des miettes de puissance offrant de l’action politique, citoyenne, militante, toutes choses nobles, une image répulsive. Ils ne font pas partie de cette dégénérescence qui fait qualifier de «jayah» un homme intègre et de “qafaz” celui qui, sans scrupules, dilapide le bien public. Ce n’est pas là que vous les verrez, ces militants qui continuent à réinventer Novembre aujourd’hui. Ils sont parmi nous au point où on ne les voit pas. Ils vivent mal de retraites modestes et n’ont jamais vécu d’autre chose que du fruit de leur travail.

C’est à eux qu’il faut penser lorsque, Novembre arrivant en bris, la tentation de ne plus croire en rien s’insinue. Ils sont la preuve vivante que l’espoir est une énergie renouvelable. Ils nous enseignent aussi que l’énergie qui dort dans les entrailles de ce peuple sait sortir autrement que par le politique quand ce dernier est confisqué. A la démobilisation, finalement apparente, des jeunes générations, il faut opposer ces actes de résistance au passéisme que sont ce que les jeunes entreprennent en quête du bonheur, jusques et y compris el harga. Assurément, cette énergie, fruit de la rencontre entre les générations, est le pire danger pour ceux qui ont confisqué Novembre. Elle est aussi une réserve d’espoir pour construire ce pays.

Arezki Metref

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