Un deuil à Sétif (1)

Ils ont ramené avec leurs mots de tous les jours, les formules que nous récitons pour l’occasion et l’essentiel leur présence pour entourer les amis dans leur deuil. Les plus nombreux passent, redisent les mêmes phrases, apparemment convenues mais terribles par la répétition du fait : ils parlaient encore au défunt ou du défunt il y a si peu, quelques heures, quelques jours, quelque temps…

La mort remet la pendule aux brièvetés de ses heures et on comprend à cette répétition des mêmes échanges qu’ils aident les parents, le frère, la sœur, les enfants à comprendre le départ du mort, à l’admettre à force de redire et d’entendre les mêmes mots et à nous occuper à autre chose qu’à la sidération du fait, l’impossibilité de comprendre que celui que nous avons aimé ne répondra plus à nos appels, à nos cris, à nos murmures quand, plus tard, dans un vieux réflexe, on l’appellera en entrant à la maison, quand, dans un geste rapide, on confondra une silhouette avec la sienne, quand on se dira : tiens, je vais lui acheter ce parfum qu’il aime tant ou ce vêtement ; quand, plus tard, on s’aperçoit que l’idée de son absence met des mois et des mois à éteindre en nous sa pensée comme l’amputé met si longtemps à ne plus sentir la douleur de son bras arraché…

Alors, pour le moment, toutes ces paroles échangées en apparence redondantes vous tiennent debout, comme la main de l’ami au moment de la chute, au moment de la chute tant que le sang et l’endroit touché sont chauds car, sinon, après ce serait plus difficile, plus douloureux, plus insupportable…

Puis, il y a les autres, le cercle plus proche de la famille, les parents. Mais ils ont l’air de moins peser, de moins vous soutenir, avec la douleur qu’ils partagent de plus près et avec cet air de s’occuper des petites choses devenues si importantes, ramener le café, déposer le plateau des dattes et de gâteaux, parler et sourire normalement dans une sorte de dénégation justifiée par l’urgence de servir les invités, les parents lointains, ceux qui sont venus de partout…

Puis, il y a les amis, les amis de tous les jours, les bons et les mauvais, les amis de toujours tant on a de la peine à se souvenir du premier signe apparu de cette camaraderie et que parlent, eux, des choses normales de la vie, de la politique, du sport, de la route et de ses accidents, des voitures, du prix du blé et de la semoule et quand ils auront épuisé tous les sujets ordinaires, ils passeront à la médecine traditionnelle, aux souvenirs des guérisseurs et des rebouteux avant d’aborder les plages incertaines des histoires paranormales, chacun y mettant ce qu’il peut.

Ils parlent comme si cet ordinaire de la mort maintenait à flots l’ami suffoquant sous la douleur de la perte, perdant le souffle dans la noyade où l’entraîne la perte, devinant d’instinct que ces conversations avec les amis de passage lui permettent de dire et redire sa douleur sans y échapper vraiment.

Alors, ils parlent pour lui dire voilà les choses de la vie qui t’entourent et ils agissent comme les béquilles de la tête pour empêcher que la noyade soit complète et fatale. A Sétif, ces amis m’ont parlé, à moi, aussi de tant de choses que je vous raconterai.

MOHAMED BOUHAMIDI

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