Le moindre mal, cette calamité

C’est avec une intrigante et déconcertante fierté qu’un ministre de la République, M. Ould Abbès évidemment, a annoncé que 184 000 universitaires se sont inscrits et sont bénéficiaires du dispositif d’emploi de jeunes. Il y a assurément dans cette sinistre nouvelle moins de quoi bomber le torse que d’entamer un travail de deuil.

Deuil de la totale inadéquation entre enseignement dispensé à tous les échelons, y compris au niveau universitaire, d’une part, et de l’autre, les besoins réels du monde du travail, de l’entreprise comme de la fonction publique. Deuil du constat que l’inscription d’un seul diplômé de l’université à l’emploi de jeunes, rémunéré à 7 000 DA, devrait prêter à s’attrister, alors que les chiffres arborés comme une paradoxale réussite, multiplient cette dérive non pas par deux, ni par dix, mais par 184 000 fois.

Deuil de l’effet pervers de cette dramatique situation, où l’on voit un universitaire se rendre à l’évidence que toutes ses études n’ont servi à rien, ni ses nuits blanches à réviser, ni ses angoisses à la veille des examens, ni l’anxiété de ses parents et des professeurs, ni même l’argent dépensé par l’Etat pour en arriver à cette gabegie. Tous ces efforts sont partis à vau-l’eau et dilapidés dans l’incohérence d’un système qui renvoie l’intellectuel dans un statut social moindre que celui de n’importe quel trabendiste.

Pendant que ce dernier apprenait les rudiments du « métier » de contrebandier et les techniques de la corruption et du commerce illicite, le naïf étudiant s’évertuait à exceller dans l’amas de connaissances, qui en fin de compte ne lui serviront même pas à compter la fortune de son voisin trabendiste. Et quand il aura pris conscience de ce gaspillage de matière grise, et qu’il voudra se reconvertir dans le trabendisme, il se rendra compte, la mort dans l’âme, qu’il est trop tard pour assimiler ce transfert de technologie.

Le plus attristant dans cette cascade d’amertume, c’est le découragement qui s’empare des petits frères et petits voisins, qui verront à l’œil nu et sans escale de démagogie, où mène l’assiduité aux bancs du lycée et de la faculté, et ce qu’il en coûte de ne pas quitter ces miroirs aux alouettes au profit d’une débrouillardise plus lucrative. Le chiffre de presque 200 000 universitaires inscrits au dispositif d’emploi des jeunes contient par contre un cinglant démenti à une assertion qui a fait florès ces derniers temps, et qui flanque cette catégorie du peu gratifiant qualificatif de paresseux.

Cependant, ce genre d’activité, puisqu’il évacue la qualification du postulant, n’est que du chômage déguisé en travail, et ne saurait en conséquence être comptabilisé comme emplois nouvellement créés. C’est là une fâcheuse habitude des statisticiens férus du vernissage des tristes vérités, et cette habitude a actuellement le vent en poupe, pour épater on ne sait quelles ouailles crédules.

Si c’est pour former des nettoyeurs de bords d’autoroute, tailler les arbres ou repeindre les façades, il y a des chemins beaucoup plus courts et moins onéreux que le passage par l’université, censé être une consécration de toute une vie. Si l’on persiste dans cette voie, c’est que l’on se cramponne fermement à la dilapidation des énergies intellectuelles, voire au sabotage avec préméditation. Le pire, c’est que d’aucuns qualifient cette option de l’étudiant diplôme pour ce pré-emploi, comme un moindre mal, puisqu’il « n’est pas terroriste et qu’il n’est pas délinquant ». C’est justement cette théorie du moindre mal qui a sécrété les ravages que l’on sait.

Nadjib Stambouli

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