NOTRE ÉCOLE PRODUIT DU CHÔMAGE
Ces trois derniers jours, les walis ont été réunis en conclave portant un ordre du jour comprenant un seul point : la situation de la jeunesse algérienne en perdition et en désespérance de plus en plus inquiétantes. Bien évidemment, les problèmes de la jeunesse algérienne sont nombreux et complexes. D’ailleurs, peut-on parler de jeunesse algérienne lorsqu’on sait que les jeunes lycéens n’ont pas les mêmes soucis que les jeunes étudiants qui, à leur tour, ne connaissent pas ceux des jeunes chômeurs totalement inactifs.
De plus, dans notre contexte, le jeune garçon et la jeune fille ont à faire face à des problèmes différents. Mais laissons ces questions bien difficiles et abordons le seul aspect de l’école.
La rentrée scolaire s’est déroulée cette année dans des conditions “normales” (entendez similaire à celles des années précédentes pour le meilleur comme pour le pire !) même si les enseignants ont fortement contesté la nouvelle grille des salaires qu’ils trouvent bien décevante. Mais dire que la rentrée scolaire a été “normale” n’est assurément pas une satisfaction quand on sait ce qu’est réellement notre école. Mise en relation avec l’économie nationale, notre école est une sorte de machine qui tourne pour elle-même, qui “pédale dans le vide” ! L’analyse des chiffres du chômage qui frappent l’économie algérienne éclaire sur “l’utilité de notre école” : presque un jeune sur deux est au chômage (dans la tranche d’âge 16-24 ans). Une métaphore illustre parfaitement la problématique du chômage qui sévit dans notre pays et éclaire sur les échecs des tentatives engagées à ce jour pour le réduire puis le juguler : lorsque votre appartement est inondé d’eau, ce n’est pas en épongeant sans arrêt l’eau qui y est déversée que vous arrêterez l’inondation.
Il faut, bien sûr, localiser la fuite et la réparer et vous n’aurez plus d’eau à éponger. En tout cas, l’eau qui provenait de la fuite ne vous importunera plus. Expliquons-nous . Nous savons que la population la plus touchée par le chômage en Algérie est celle des jeunes (16-24 ans). Le chômage touche, en effet, 62% de la population âgée entre 16 et 24 ans et 49% de celle âgée entre 16 et 19 ans ! Or, les jeunes de la classe d’âge 16-24 ans sont censés être au lycée ou à l’université. Dans notre pays, ils sont sur le marché du travail et gonflent considérablement les files d’attente des postulants à un emploi.
L’une des principales sources du chômage (l’origine de la fuite d’eau de notre exemple) est donc, dans notre pays, l’école (y compris l’université). Les déperditions scolaires sont considérables : 500 000 exclus du système scolaire chaque année. En 2001, près de 2 millions de jeunes, âgés entre 16 et 18 ans, n’étaient pas insérés dans le système scolaire si l’on en croit les chiffres repris par le Conseil national économique et social dans sa session de juillet 2005. Un autre chiffre parle de lui-même et n’a pas besoin de commentaires : 75% des jeunes âgés de 18 ans se trouvent en dehors du système scolaire.
Le rendement interne de notre système éducatif est tout simplement catastrophique et ne cesse de régresser. Le taux de réussite au bac était de 43% en 1963, de 59% en 1969. Il a été en moyenne durant ces dix dernières années de 25% ! Ainsi, chaque année, l’école “libère” des colonnes de jeunes en échec scolaire qui viennent grossir les files d’attente pour un emploi et déséquilibrent encore plus un marché du travail déjà bien “encombré” envoyant à l’économie des demandeurs d’emploi sans qualification que celle-ci est bien évidemment incapable d’absorber.
Au plan qualitatif, on sait que la formation dispensée à nos jeunes par notre système scolaire et universitaire n’est pas qualifiante. Notre école délivre des diplômes mais pas de qualifications. Elle fonctionne dans un système d’offre et non pas de demande, et bien évidemment nos entreprises et nos administrations ne trouvent pas sur le marché du travail les ouvriers et les employés qualifiés dont elles ont besoin. L’école est sans connexion avec l’économie.
C’est bien une machine qui fonctionne pour elle-même. De son côté, le système de formation professionnelle est totalement inefficient du point de vue du marché de l’emploi et fonctionne comme un exutoire au “surbooking” de l’école. A titre d’exemple, le secteur du bâtiment et des travaux publics, secteur fortement pourvoyeur d’emplois, est confronté à un grand déficit de main-d’œuvre qualifiée. L’ancien président du Forum des chefs d’entreprise, M. Omar Ramdane, évaluait à 500 000 maçons le déficit que connaît le secteur de la construction.
Dans le même temps, le taux d’abandon scolaire dans le secteur de la formation professionnelle est élevé : de l’ordre de 15% en 2004 et 2005 (plus élevé que le taux d’échec). Le phénomène touche même la formation dans les domaines du bâtiment et des travaux publics pourtant fortement demandeurs de cette main-d’œuvre. Ainsi, l’école produit du chômage à la fois par son rejet sur le marché du travail chaque année d’un nombre considérable de jeunes âgés de 16 à 18 ans (déperditions) et par la production de diplômés non qualifiés qui ne trouvent pas d’emploi.
Il n’appartient pas à l’économie de “corriger” le mauvais fonctionnement du système éducatif. Une partie importante du chômage trouve sa solution dans un meilleur rendement interne et externe de l’école. Et nous n’avons pas soulevé la stratégique question du rôle que doit jouer aujourd’hui l’école pour l’émergence, chez nous, à l’instar de ce qui se passe dans les économies développées et les économies émergentes, d’une économie fondée sur la connaissance, cette économie immatérielle sur laquelle repose de plus en plus la fabrication de la croissance dans les économies avancées. Au fait… que sont devenues les conclusions de la Commission de réforme du système éducatif ?!
Abdelmadjid Bouzidi