Candide s’habille RND

Banale à pleurer, cette histoire se passe dans une ville de l’intérieur de plus de 700 000 habitants. L’un d’entre eux, la cinquantaine encore active, niveau d’instruction supérieur, refuse la fatalité de voir le pays continuer indéfiniment à se défaire sous les coups de bandes prédatrices qui squattent la moindre parcelle politique. Il décide : «Il est de mon devoir de me mouiller d’autant que, par ma formation d’économiste, je pense pouvoir mettre en œuvre quelques idées simples pour ma ville.» Banco ! Il se résout donc à se jeter à l’eau, mais comment ? Une rapide consultation de ses potes le mène à cette conclusion : les conditions locales étant ce qu’elles sont, la seule chance de décrocher la timbale, c’est de s’habiller RND.

Candide au pays des griffes, il adhère au parti d’Ouyahia, se souvenant, pour l’occasion, que ce dernier venait de prononcer un retentissant discours dans lequel il assignait à son parti la noble tâche de valoriser les élites. De plus, «un copain intelligent et cultivé m’a embobiné vite fait avec cette étiquette : le RND est un parti républicain et démocratique qui a des chances de pouvoir agir». Re-banco ! Notre homme se rapproche donc du RND. Au début, il est plutôt relativement bien accueilli. Il est même un peu copain avec le coordinateur de wilaya, un type sympathique quand il n’y a pas d’enjeu, il le comprendra plus tard.

Le novice croit sincèrement qu’il atterrit dans un parti de cadres où chaque militant est porteur d’idées, de projets, d’idéaux, et où toutes ces belles compétences conjuguées vont contribuer à soustraire le pays à la sclérose et à la médiocrité. Je lui fais observer que le RND n’a, depuis le début, visiblement aspiré à rien d’autre qu’à être le parti de «l’administration», gelé en temps normal et revivifié séance tenante au feu d’élections, peu soucieux d’avoir une base sociale et carrément indifférent aux luttes sociales.

Il me fait remarquer, lui, qu’avant d’être ce qu’il est devenu, le RND était une idée relayée par feu Benhamouda et qu’à ce titre, il ne pouvait que bénéficier de l’empathie des gens sains. Plutôt que Benhamouda, ceux qui lui ont imprimé la marque sont des commis de l’Etat, des hiérarques des syndicats officiels, des cadres à mi-chemin entre deux allégeances et toutes sortes de demi-vieux déguisés en jeunes loups en mal de coups de dents.

Il m’informe que la concentration de matière grise au RND devait, selon lui, rien que par un effet chimique involontaire, créer un débat politique comme on n’en trouve nulle part ailleurs. Ils n’ont même pas besoin d’ouvrir la bouche pour se parler. En fait, ils n’ouvrent pas la bouche et ils ne se parlent pas, sauf pour se proposer sur une liste où dégommer son voisin. Ce semble être l’activité principale de ce parti. La vie organique se réduit à ça : qui sera sur la liste ? Notre novice, arrivé juste après la veste ramassée par le RND aux législatives, croyait suprêmement intelligent de demander un débat pour situer les responsabilités de l’échec. Son chef, si sympathique en dehors des enjeux, le stoppe net.

La faute revient aux coordinateurs de la structure intermédiaire. Le novice essaye d’amener un réel et – normal – débat politique d’évaluation de la campagne des candidats, de la teneur de leur discours, de leurs rapports aux électeurs. Il veut un débat contradictoire, politique, constructif, ce débat que les partis politiques portent comme leur essence. Tintin ! Notre ami se verra rétorquer que s’il souhaite parler politique, il n’a qu’à aller dans un club de football car, ici, on parle football. La boutade n’est pas loin de la vérité. Chaque fois que le candide s’avance à découvert pour demander qu’on parle politique dans un parti politique, on lui tire dessus avec des munitions qui restent du FLN. On le traite de mchaouche, subversif.

Il en est venu à se complexer d’être l’un des rares à ne pas savoir reprendre, au souffle près, les mêmes propos que le chef sur n’importe quel sujet, en y ajoutant le miracle de transformer la redite en scoop. Déjà, il est dans la marge. Les choses se compliquent lorsqu’on se penche sur les listes pour les élections municipales du 29 juin prochain. Notre novice ne cache pas son ambition d’être sur la liste car il a des chances raisonnables de la faire élire. Lors d’une réunion de la commission de préparation des élections, il est estomaqué par cette question de son chef : «D’où es-tu ?» Sous-titrage convenu : de quelle région, de quelle tribu, de quelle famille ? etc. Réponse de l’interrogé : «Jusqu’où dois-je remonter ? Mon père est d’ici.

Mon grand-père est d’ici. Le sien de père est aussi d’ici, comme le père de ce dernier et ça remonte comme ça jusqu’à l’émir Abdelkader. Dois-je remonter encore ?» Notre novice, vraiment novice, n’a pas compris qu’il vient de perdre sa place sur la liste. Il n’a pas su donner la bonne réponse, celle que le chef attendait. Pis : il devient l’ennemi à abattre. Et des marges où il est désormais, il observe ce grand cirque électoral dopé au fric par le pragmatisme du chef qui autorise que l’on marchande les places. On fait appel à des fortunés d’hier, sans chercher à savoir de quel ciel leur est tombée la fortune.

Pragmatique, répète le chef. Le discours sur la compétence, machin, etc., c’est du pipeau. Tu as du fric, tu es sur la liste, même si tu es du signe du Bélier. On te demande soit d’avoir des choses en or, soit du plomb dans l’aile. Riche ou assujetti, tu passes. Sinon, tu vas voir ailleurs. Par exemple, à propos de compétences, il est une école dans cette municipalité dont le directeur et l’appariteur appartiennent au RND. Ils se présentent tous les deux pour figurer sur la liste des élections. Devine qui est retenu dans le parti des cadres ? C’est l’appariteur, bien sûr. Le directeur est carrément effacé.

Mais, bon prince, l’appariteur est allé proposer sa place au directeur moyennant une douzaine de «bâtons». «J’ai peu entendu parler politique mais alors, qu’est-ce qu’on parle fric là-dedans. Le parti est complètement mercantilisé. Une place d’élu, ce sont des projets personnels qui aboutissent. Ce n’est pas ce que je cherchais», confie notre ex-novice, bizuté vite fait. Il n’est pas exclu que cela se passe exactement de la même manière dans d’autres partis, y compris «démocratiques et républicains ». C’est même probable. Pour parler de ces municipales qui n’en sont pas car les candidats émanant réellement des populations sont les derniers à trouver place sur les listes, nous avons pris ce cas emblématique. Il n’est pas exclusif au RND. C’est ce qui est à déplorer.

Arezki Metref

Leave a Reply

You must be logged in to post a comment.

intelligence artiste judiciaire personne algériens pays nationale intelligence algérie artistes benchicou renseignement algérie carrefour harga chroniques économique chronique judiciaire économie intelligence chronique alimentaire production art liberté justes histoire citernes sommeil crise alimentaire carrefour économie culture monde temps
 
Fermer
E-mail It