Dilem, ou l’honneur par l’humour
Pour la première fois de son histoire, vieille de 26 ans, le Salon international du dessin de presse et de l’humour, organisé par la commune de Saint-Just-Le-Martel, a décerné le plus prestigieux de ses prix à un étranger : l’Algérien, Ali Dilem. Il succède à Plantu, lauréat de l’édition 2006.
C’est à l’unanimité que le jury l’a choisi parmi plus de cinq cents confrères venus de plus cent pays, dont les illustres Plantu et Cabu (France), Chapatte (suisse), Michel Kichka (Israël) Khalil Abou Arafeh (Palestine), Cabu (France), Danziger (USA), Rita Moukarzel (Liban)…
Dans l’édition 2005 de cette même manifestation, Dilem avait obtenu un autre prix, le “Trophée de la liberté de presse”. L’an passé, le caricaturiste a reçu le prix 2006 de l’American Cartoonist Right Network Award à Denver. Dilem n’est pas peu fier, non plus du prix Ouartilène d’El Khabar. Il ne reste à Ali presque plus de récompenses internationales à décrocher. Il n’a donc plus à prouver la qualité artistique avec laquelle il représente l’art national du dessin de presse.
Mais, comme d’habitude, à peine quelques articles de confrères viennent signaler l’éloge qu’un jury étranger a décerné au dessinateur. Mais pas plus d’épanchements, dans une presse qui, par ailleurs, se tord d’ébahissement et se fend de «une» à l’information d’un harraga qui a pu se glisser parmi la garde rapproché de Tony Brown. Encore moins d’émotion du côté officiel. Les encouragements nationaux, tels qu’orientés jusqu’ici, se sont retournés contre le renom à travers les folies d’un Khalifa courtisé et les extravagances de chanteurs adulés.
L’esprit local, quand il rayonne, ne se reflète point dans la fierté d’un pays qui toujours en quête éperdue de brillante représentation au point de faire de Demis Roussos et Michael Schumacher des Algériens. Et ce que rafle Dilem comme lauriers n’a rien à envier au palmarès, dans son domaine, d’un Zidane qu’on a cherché à «rapatrier» à tout prix, au point d’y mobiliser les plus grands moyens de persuasion de l’État. Un État, certes, plus intéressés à domestiquer l’imagination qu’à l’encourager, quitte à la financer, sous forme de “l’année de l’Algérie” par-ci et “l’année de l’Algérie” par là, pour mieux la maîtriser. La création libre est, elle, accusée de subversion, et donc censurée, réprimée et vilipendée et méprisée.
À l’occasion du Salon de Saint-Just-Le-Martel, le caricaturiste israélien, qui n’a pourtant rien de conciliant dans sa manière de croquer l’administration de l’État hébreux, a été accueilli par l’ambassadeur d’Israël en France ; Dilem s’en allé fêter sa consécration dans un quartier d’émigrés encore sensibles aux réalisations des leurs.
L’Algérie officielle préfère l’Algérie des affairistes à l’Algérie des polémistes. Elle préfère l’Algérie de Cheb Mami, populiste et distraite, à l’Algérie de Dilem, indomptable et exigeante.
L’intelligence seule permet de tourner la tragédie en dérision. Et le génie du confrère mérite que nous nous en enorgueillons. Dilem ne nous a-t-il pas permis d’être reconnus parmi les meilleurs au monde à savoir traiter nos profonds tourments avec humour et perspicacité ?
Mustapha Hammouche