Le prix de la réconciliation
L’enquête sur l’attentat raté, mais qui a fait vingt-deux morts et plus de cent blessés, contre le président de la République a conduit à l’arrestation de onze personnes, soupçonnées de soutien au terrorisme. Leur chef est un “repenti” qui a bénéficié des droits et privilèges que la Charte pour la réconciliation confère à son statut d’ancien terroriste.
Quand on se souvient que Bouteflika s’est exprimé quelques instants après la tentative de meurtre contre sa personne pour déclarer : “Je ne renoncerai jamais à la réconciliation nationale, quoi qu’il en coûte.”
Le message a le mérite d’être sans équivoque. Ce coût, comme on le voit dans ce triste épisode de la réconciliation sanglante, est aussi fait de vies humaines. Le pouvoir sait que son empressement ne dissuadera pas le projet islamiste de sa guerre. Et ses dignitaires, comme ses institutions, s’affairent à se barricader contre le terrorisme qu’ils ont aidé à retrouver un second souffle, à fermer les voies autour de leurs résidences à la circulation. L’État se barricade, et chaque jour un chemin de plus est interdit à l’usage public.
Alors que les barrières de protection se multiplient, le discours de la réconciliation est intact. Et l’inviolabilité des parrains du terrorisme aussi. Ce qui a permis à l’un de ces faux repentis de continuer à recruter des kamikazes dans les quartiers de Batna sous la protection de son statut de “réconcilié”.
Ghoulamallah interrogé par Liberté sur d’éventuelles sanctions à l’encontre de l’imam recruteur d’Apreval répond que, pour l’instant, “il a disparu”. Parlant d’un activiste arrêté sur ordre d’un procureur, le ministre, visiblement en désaccord avec le traitement réservé à son fonctionnaire suspecté de délit d’endoctrinement sur mineurs, use du langage du “Qui tue qui ?” !
Un arrangement illusoire dans ses prétentions pacificatrices a usurpé une désignation positive pour mieux dissimuler ses prévisibles et tragiques implications sécuritaires.
Donc, tout pour la réconciliation nationale ! Quelle autre cause peut alors passer avant la paix dans un pays éprouvé, une décennie durant, par un déferlement de haine meurtrière ? Et puisqu’il a été décidé que la paix passe par l’asile politique offert aux terroristes, il fallait, pour domestiquer les troupes barbares, désarmer l’État et sa justice. Et désarmer la société pour que ne soit plus perçue que la voix de la réconciliation.
Les libertés publiques s’évanouissaient progressivement. Et toutes les forces agissantes n’avaient peu à peu que le choix du clientélisme et de la répression. La profession journalistique, le monde syndical et ce qui aurait pu faire notre élite en général ont eu à opérer ce choix. Il faut croire que Kateb avait raison quand il disait : “J’ai vu des gens résister à la torture et fléchir devant l’attrait du luxe et du confort.” En mercantilisant la vie publique, le pouvoir a révélé bien des vocations jusque-là étouffées dans les journaux, les syndicats et la société civile. Même les hommes et les femmes politiques ont massivement révisé la notion d’engagement.
Le prix de cette réconciliation contre-productive est surtout fait de vies humaines, mais la démocratie a constitué l’autre coût de la réconciliation.
Mustapha Hammouche