Le “has been” et les comparses

Rédha Malek est certainement un homme d’expérience mais demeure-t-il pour autant un personnage d’influence à la perspicacité politique intacte ?

Il est difficile de formuler à son sujet un avis tranché sans être soupçonné d’instruire, quelque part, un mauvais procès à son encontre. Pourtant, tout indique ces jours-ci qu’il s’est remis à cultiver une émouvante nostalgie pour le clinquant de la scène politique, alors que l’on croyait qu’il avait définitivement posé ses valises de respectable routier du mouvement national pour ne se consacrer qu’à quelques tâches de mémorialiste.

Le revoilà donc ressuscité comme cette rossinante qu’est l’ANR. Un cheval de bataille qui le mena de déconvenues en berezina mais dont il enfourche le sigle selon les saisons afin de garder le contact avec le monde glauque des politicards. L’homme des grandes rectitudes morales qui abhorrait jadis les «habits d’arlequin» (1) idéologiques, — ces melting-pots dans le compagnonnage qui finissent par brouiller les lignes de partage entre les camps politiques. Cet homme-là se serait-il par hasard converti, à l’aube du grand âge, aux délices de la connivence ?

Car, enfin comment comprendre autrement son intempestif désir à vouloir jouer un rôle qui ne lui ressemble guère : surtout pour une cause douteuse et une justification spécieuse ? Grâce au prochain scrutin, il aurait, nous dit-il, trouvé une bonne opportunité pour «réunir trois partis sur une liste unique» ! Juste pour participer à une énième élection et valider un faux pluralisme dont lui-même reconnaît qu’il n’existe guère.

Rien n’est plus indigent qu’un tel prétexte destiné à étayer une initiative, contestable pour bien des raisons et de surcroît vouée à l’échec populaire dans le meilleur des cas ou, au pire, récupérée et instrumentée par le pouvoir à travers une dotation en strapontins. Expliquons-nous : lucidement, quel est le rayonnement de ce conglomérat composé de l’ANR, l’UDR et un MDS dissident ?

L’on sait que l’ANR entre autres a eu toutes les peines du monde à rassembler une «congrégation» (ce qui est différent d’un congrès) après un grand sommeil qui dura 12 années. Tout juste un conclave de circonstance destiné à se mettre en conformité «participative». Quant aux autres partenaires, ils n’ont d’autres visibilités que celles que leur octroie la bienveillante administration et les entrefilets de presse. Rédha Malek, grand ordinateur de cette synthèse d’un pôle démocrate, est-il assez naïf pour croire à la fiabilité de ce moulin à vent transpartisan dont la seule chance de siéger serait de montrer patte blanche ?

Autrement dit, s’engager à moudre le même grain que le régime. Plus circonspect sur l’avenir mais néanmoins disposé à franchir le Rubicon, l’autre pôle, tout aussi républicain, que s’assigne le RCD développe une dialectique suffisamment fine pour se rendre crédible. De plus, il a l’avantage sur la nébuleuse «Malek» de pouvoir matériellement étalonner un segment électoral présent régionalement. C’est donc au nom de «l’éthique de responsabilité» que ce parti veut rompre avec les platoniques «ministère de la parole et le magistère de la morale» (2).

De ce côté-ci, le risque est certes double mais il a le mérite de sortir du non-dit. Le RCD accepterait à la fois d’être désavoué objectivement par les électeurs si, par une quelconque magie, les urnes du 17 mai devenaient transparentes ; et jouerait son va-tout auprès du pouvoir au risque d’être recalé pour indocilité chronique. Or, du côté de Rédha Malek, nous sommes, quoi qu’on dise, dans la simple «offre de service», car le pacte électoral en cours d’élaboration ressemble à une sombre combinaison d’intérêts personnels dans laquelle ne se serait fourvoyé que le «fédérateur», qui, lui, a tout à perdre et notamment sa légendaire probité. En effet, comment a-t-il pu, aussi imprudemment, brader les vieilles et solides convictions qui ont irrigué son itinéraire ?

A moins que … !! Mais ne conjecturons pas sur le sujet et contentons-nous des interrogations et de vieux rappels. Car c’est quand même lui qui interpellait violemment ce même pouvoir sur les dérives antidémocratiques il y a quatre années. «L’opportunisme encouragé par le pouvoir et la politique des quotas qui étouffe l’émergence de la démocratie, déclarait-il en mai 2003 à Soukel- Tenine, sont la carte de visite du régime».

L’on aura par conséquent compris pourquoi cette voix naguère discordante par rapport au chorus des louangeurs étonne aujourd’hui par son changement de registre. Cet homme politique de premier plan qui avait souvent accepté la marginalité et l’ostracisme comme autant de preuves et de gages de son indépendance intellectuelle brouille certaines certitudes établies à travers son activisme d’arrière-saison.

Lui l’irréductible républicain qui stigmatisait les pratiques obliques qui ont dévoyé les libertés politiques le voilà, en 2007, en train de bricoler avec quelques comparses des martingales électorales comme si … ! Oui, comme si, entre-temps, quelque chose d’essentiel avait changé dans le ciel politique de ce pays.

A partir de quelle expertise politique une opposition, réputée comme telle, doit-elle se rabibocher avec un pouvoir même quand celui-ci n’a pas tenu une seule de ses promesses ? La question mérite d’être aujourd’hui posée à ce célèbre monsieur «tant pis» qui ferraillait lucidement contre tous les cyniques capitulards quand ils évoquaient chaque fois et invoquaient en toutes circonstances la «nécessité et le réalisme».

Ainsi, quand tout le monde s’accorde pour dire que le divorce entre la société et la nomenklatura dirigeante est consommé, comment peut-on encore trouver la moindre raison de souscrire à sa démarche ? N’en déplaise à certains démocrates, le boycott n’aurait jamais dû être une simple «posture politico-électorale» (2), c’est-à-dire une dégaine pour surenchérir, mais un principe basique qui réfute en permanence la facticité des urnes tant que la fameuse «double rupture avec l’Etat rentier et l’islamisme », que conceptualisa en 1993 feu Hachemi chérif, n’a pas été accomplie.

Il est vrai que les Sadi, Malek et Benyounès n’ont jamais été du même bord que le défunt mais ils ont, dans leur pratique politique et leur combat, eu à vérifier la perpétuation de cette «génétique» système avec laquelle le fondateur du MDS voulait rompre.

Cela est d’autant plus vrai qu’ils eurent, avec des infortunes diverses, le déplaisir de constater que le système n’existe que par la négation de ses contradicteurs et n’a de morale de l’Etat que celle qui asservit l’élite politique du pays.

Rédha Malek n’avait-il pas connu cette humiliation qu’on lui a fait subir par deux fois en le privant de présidentielle en 95 et 99 et en disqualifiant son ANR aux législatives de 1997 ? Mais lui, grand philosophe devant la désillusion, se contentait chaque fois de répéter : «Les combats perdus sont ceux que l’on n’engage pas.» Depuis, d’aucuns pensaient qu’il s’est fait une raison et que pour lui l’ANR ne restera que comme une anecdotique coquetterie dans une fabuleuse existence de militant et de patriote.

Or, le voilà qui retourne cette semaine avec cette certitude insensée qu’il peut encore incarner l’alternance quand tous les horizons sont bouchés ! Il est vrai que lorsque des comparses intéressés sollicitent un «has been» à la retraite cela lui donne des idées. Hélas pas souvent bonnes !

Boubakeur Hamidechi

(1) Mohamed Harbi, qui le considère comme l’idéologue de l’Ugema, lui attribue ce qualificatif par lequel R. Malek réfuta tous les amalgames au sujet de la dénomination de l’organisation estudiantine (lire : Une vie debout,de M. Harbi, page 157)

(2) Lire la contribution de Tarek Mira, secrétaire national du RCD, parue dans Le Soir du samedi 24 mars.

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