L’Etat, l’UGTA et le viol des libertés syndicales

Il fallait bien qu’un jour ou l’autre la question du pluralisme syndical revienne sur le tapis mais par d’autres canaux. Cette fois elle est posée d’une manière abrupte et sous la forme d’un ultimatum par la toute-puissante confédération syndicale internationale (1). En soulignant les flagrantes violations des droits syndicaux elle rappelle à l’Algérie, qu’en la matière, elle doit respecter la charte de l’OIT (Organisation internationale du travail) dont elle est signataire.

L’obstruction à la pluralité et le traitement discriminatoire qui en résulte prennent désormais des proportions préjudiciables à l’image de notre syndicalisme, lequel est sous le coup d’une exclusion des instances internationales. Pourtant, combien de fois les partis politiques et la presse critiquèrent ces errements anticonstitutionnels mais en vain. Car le refus d’ouverture du champ syndical a été depuis 1989 appuyé et encouragé paradoxalement par l’ex-syndicat unique, au nom d’abord de la résistance à la massification du FIS et ensuite par une propension à la monopolisation.

Que le problème ressurgisse aujourd’hui sous la pression des autonomes aguerris n’est donc que la conséquence d’une frilosité politique dommageable aussi bien pour la bonne médiation syndicale que pour notre représentativité extérieure. Formellement légalisée par la Constitution de 1989, dans les mêmes termes que le pluralisme politique, la liberté syndicale a très tôt constitué un enjeu majeur face à la montée en puissance des réseaux islamistes. Dans le laxisme ambiant qui a favorisé la légalisation de courants politiques sectaires la bataille pour le contrôle du maillage syndical opposa les deux courants populistes dominants. Celui de l’ex-parti unique qui ne souhaitait pas se délester de ses prolongements traditionnels (organisations de masse) et évidemment le FIS qui, opportunément, a noyauté le monde du travail en mettant en place les structures du SIT.

Cette officine islamiste parvint à orchestrer des grèves et à encadrer le mouvement de la désobéissance civile. Sa capacité de puissance insurrectionnelle fut telle, qu’elle contribua à une véritable paralysie sous le regard impuissant des pouvoirs publics. C’était cette expérience qui fut à l’origine d’une réflexion au sein de l’UGTA afin d’élaborer une parade à l’effritement du front social livré aux manipulations que l’on a connu. Ce que certains ont vite fait de qualifier de réflexe monopoliste n’était en réalité qu’une saine réaction face au dévoiement du travail syndical. A partir de 1992, l’UGTA parvint à refaire le terrain perdu. Il est vrai qu’elle fut aidée par l’interdiction judiciaire, de toute activité du SIT Crédibilisée à nouveau, elle redevint l’interlocuteur privilégié du pouvoir. Cependant, son contrôle quasi total sur l’espace syndical ne devait pas pour autant occulter le fait que, si dans le même contexte les libertés politiques ont peu ou prou résisté, la liberté syndicale, elle, tarde à faire émerger d’autres pôles représentatifs.

Il fallut attendre l’année 1998 pour entendre parler pour la première fois de syndicats autonomes que l’on a injustement qualifiés de corporatistes sectaires. En dépit des campagnes de dénigrement, ce néo-syndicalisme continuera à grandir et à intéresser le salariat déçu par une UGTA si près du pouvoir politique et si loin des cols bleus. Dans l’inconfortable forteresse monopoliste, elle se mettra à cultiver une doctrine antidémocratique bien loin des credo du combat au profit des travailleurs. Progressivement, elle devint une institution sans ressort, bureaucratisée et surtout aspirée par le jeu des appareils politiques jusqu’à en être réduite à une caisse de résonance : reportez-vous à la dernière « platitude» de Sidi Saïd remerciant le chef de l’Etat d’avoir accordé des augmentations aux fonctionnaires !

Malgré l’érosion galopante de son audience (totalement absente dans le secteur privé), elle continue pourtant à compter sur la haute administration pour disqualifier les autonomes ou du moins endiguer leur influence afin de prévenir toute contamination. Son objectif aujourd’hui est clair : sauver sa propre rente régalienne dans le monde syndical. Plus qu’une erreur stratégique consistant à faire valoir sa primauté alors que le terrain lui est défavorable, l’UGTA commet faute sur faute. Et cela risque de l’amener à une situation comparable à celle de 1988 quand, dans la foulée du démantèlement des organisations de masse, elle connut un reflux historique dont profita la subversion islamiste.

Depuis quelques années, la forte médiatisation de la campagne de reconnaissance des «autonomes» ainsi que la reconnaissance internationale dont ils ont bénéficié aurait dû pousser l’UGTA à plus de circonspection en opérant des ouvertures en leur direction. Au lieu de cela elle préféra continuer à leur décocher des flèches au lieu d’en faire des alliés et des relais complémentaires dans la défense du monde du travail. Face aux «autonomes», qu’ils continuent à combattre ou du moins à ignorer, les gens du «Foyer civique» de la place du 1er-Mai sont en train d’écrire le pire des scénarios pour le syndicalisme algérien quand, jadis, il était exemplaire dans la lutte et pertinent dans les analyses. Voilà ce qu’il en coûte d’être flatté par les diableries du politique.

Boubakeur Hamidechi

(1) Le rapport du CSI cite la mission de l’Internationale des services publics (ISP) en visite en Algérie en novembre 2006 et qui fait état de représailles administratives à l’encontre des syndicalistes autonomes.

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