ça va, quand même !
La frénésie consommatrice du Ramadhan, si elle est toujours perceptible, a décru cette année. Est-ce le signe d’une modération alimentaire inédite dans nos ménages ? Ou bien l’effet d’une retenue forcée par le déclin de notre pouvoir d’achat, aggravé par les soudaines augmentations de prix de cet été ?
Il n’est peut-être pas aisé d’évaluer l’impact de la grille entérinée par le Conseil des ministres d’avant-hier sur la rémunération des différentes catégories de fonctionnaires, mais les différents syndicats autonomes y ont déjà trouvé motif à s’alarmer. Les augmentations de salaires annoncées, apparemment sans précision de délai, ne semblent pas satisfaire les syndicats autonomes.
Par contre, le secrétaire général du syndicat officiel a vite fait d’adresser un message de remerciements au président de la République au nom des “travailleuses et travailleurs” et de la direction nationale de l’UGTA. Tout se passe comme si le syndicat “politique” s’empresse de prendre les devants vis-à-vis du mécontentement prévisible. On ne peut rêver mieux pour un Président que de recevoir des remerciements de travailleurs dans un pays où le Smig est encore à douze mille dinars, avec le pouvoir d’achat que l’on sait de notre monnaie.
Ainsi encadré, le dialogue social organise, pour le compte du pouvoir, l’état de grâce permanent. L’UGTA est à la vie sociale ce que l’ENTV est à l’expression publique. Toutes deux formulent les opinions qui attestent de la bonne gouvernance et toutes le font avec les subsides de ceux dont elles contrôlent l’expression.
Quand les Algériens meurent des effets de leurs “bénédictions qui tuent”, comme l’écrivait Tahar Djaout, la Télévision nationale ouvre son JT par des déclarations de prêcheurs, comme elle l’a fait avec El-Qaradhaoui avant-hier. Quand, la veille, la police italienne cueille cent quarante-trois harragas aventureusement débarqués sur la côte sarde, la Centrale syndicale rédige des messages d’autosatisfaction. Mais l’hémorragie, de plus en plus effrénée, provoquée par le verrouillage de l’horizon professionnel des jeunes n’émeut pas beaucoup. Le chômage des primo-demandeurs n’est pas l’affaire de la bipartite.
Le dialogue social et économique fonctionne comme une activité de solidarité de système : donne-moi des arguments de ma légitimité, je te renvoie le témoignage de ta bienveillance. Quand, au début de l’été, la presse, puis le Forum des entrepreneurs s’inquiétaient de la hausse soudaine de produits de première nécessité, l’UGTA ne semblait pas y voir un rapport avec le niveau de vie de travailleurs. Les prix, ce n’est pas à l’ordre du jour des bipartites. Ce n’est pas, non plus, l’affaire des ministres du Commerce ou de l’Agriculture qui se rejettent, dans une scolaire accusation mutuelle, la responsabilité de la pénurie.
Ni l’exil hasardeux d’adolescents, ni les émeutes récurrentes du logement social, ni la dégradation des conditions d’existence, ni les dilapidations à répétition n’entament l’autosatisfaction officielle et le contentement convenu de la cour.
On peut se demander si, finalement, il n’y aurait dans cette fuite en avant un ultime constat d’impuissance.