L’indépendance, conte cruel ?

Il est vrai que c’est un peu tristounet que le 5 Juillet soit passé en rasant les murs. C’est pas folichon, ça, non ! On croirait que l’indépendance s’est effacée, le jour de son anniversaire, comme pour s’excuser de la bévue d’être venue. Si ce n’est pas malheureux d’en arriver là ! A ce propos, j’ai apprécié la courtoisie de Tomoji Tanabe, ce Japonais de 111 ans, doyen de l’humanité, qui déclarait le jour de son anniversaire : «J’ai vécu trop longtemps. Je suis confus. Je vous présente mes excuses».

Le tact, oui ! Ceux qui, depuis ce jour de juillet blanc noyé de soleil et de joie, occupent sans discontinuer le pouvoir dans une longévité spécifique ne l’ont pas, ce tact ! Ils auraient plutôt celui du mouton des terres arides qui tombe sur des pâturages d’herbe grasse : ils ne laisseraient la place à personne ! Revenons à l’indépendance. Je rectifie avant que le correcteur ne se rebiffe : l’Indépendance avec un grand I…

Elle s’est faufilée par la porte cochère, comme une ombre. Elle a pris la clé des champs. Elle s’est cassée, dans tous les sens du terme. Si les «officiels », qui le sont devenus grâce à elle, à Elle, s’en tapent comme de leur premier parjure, les «officieux», eux, se lamentent à l’envi de la trahison qui consiste à oublier les sacrifices…. Du coup, on ne sait plus ce qui est le plus risible des deux : le silence glacé des «autorités» ou le lyrisme torride des «largués» du système.

Les uns ont l’indépendance, ils sont même les seuls à l’avoir. Les autres, marginalisés, poussés vers la sortie, décochent la flèche du Parthe en traitant les «sorteurs» de trafiquants d’histoire. Le quidam, sceptique, se méfie autant du froid que du chaud et se demande, en fin de compte, ce que ça pèse tout ça. Oui, en effet, ça pèse, quoi, tout ça ? Le tuyau, c’est de savoir pourquoi les «officiels» et les «officieux» se jettent à la figure l’indépendance en rappelant, au besoin, ce qu’elle leur doit.

Ce qu’elle leur doit, à eux bien sûr, et pas aux autres. L’autre tuyau, c’est de comprendre comment pardi ils sont arrivés à dégoûter le peuple, censé être le seul héros de l’histoire, de cette belle chose qu’est l’indépendance. Le fait est qu’ils y sont arrivés. C’est dire s’ils ont fait fort, les gus ! A voir les tronches de ceux qui en parlent entre deux bâillements digestifs, on comprend que les jeunes classent ça dans le rayon des vieilleries.

Ringard ? Ce qui est ringard, c’est tout à la fois le silence et le lyrisme qui servent de discours sur l’indépendance, ce n’est pas l’indépendance elle-même. Mais entendre ceux qui ont remplacé les colons, souvent un cran en dessous dans la gouvernance, en faire des tonnes et des tonnes sur la libération et l’héroïsme, sur la générosité et les valeurs, sur tutti et quanti, il y a de quoi te coller le bourdon.

Tu les regardes agir et tu réalises que ce sont finalement des pâtissiers de génie : en nous jetant plein de poudre aux yeux, ils sont arrivés à faire de l’indépendance un gâteau. La cerise, ce sont eux ! Inénarrable ! Pour autant, silence cynique et lyrisme soporifique renvoyés à leurs pénates respectives, il reste que l’indépendance de l’Algérie est un moment grave, solennel. Un de ces moments qui sont un tournant.

Benyoucef Benkhedda, qui était encore le président du GPRA, déclarait à la descente de l’avion qui le ramenait de Tunis : «L’Etat sera le serviteur du peuple et non son gendarme. Il doit s’appuyer sur le peuple, sans lequel il n’est rien.» Il ajoute ceci : «La volonté populaire constitue le barrage le plus solide contre la dictature militaire dont rêvent certains, contre le pouvoir personnel, contre les ambitieux, les aventuriers, les démagogues et les fascistes de tous bords. La volonté populaire a été le moteur du combat pour l’indépendance.

Elle est la garantie de la victoire dans la bataille pacifique mais gigantesque de la reconstruction.» Ce n’est pas que j’apprécie particulièrement l’orientation de l’honnête homme qu’était Benyoucef Benkhedda, mais il faut dire qu’il a visé juste dans ces propos tenus à chaud après la proclamation des résultats du référendum de juillet 1962 qui rendait la plénitude de sa souveraineté à l’Algérie. Tous ces éminents messieurs dont il a dressé la typologie ont, en fin de compte, sauté allégrement le barrage populaire et, «la bataille pacifique mais gigantesque de la reconstruction» reste encore à l’ordre du jour. Comme quoi ! Comme quoi, quoi ? Ce n’est pas l’indépendance qui est en cause, mais l’usage qui en est fait.

Ces messieurs ont la psychologie du séducteur primaire : une fois la «chose» conquise, ils s’en désintéressent totalement. Alors, on se tait. Au mieux, on se lance pour le fun un petit feu d’artifice au-dessus de Riad-El-Feth, une déclaration dégoulinant de grandiloquence et on passe à autre chose. Les autres, les largués, comme ils n’ont ni feu ni artifices, puisent dans l’inépuisable gisement de poésie lyrique que constitue la geste nationaliste pour enduire de «hchouma» les amnésiques dans le but de démontrer que, eux, l’amnésie, ils ne boivent pas ça ! Tout cela nous éloigne de l’indépendance.

C’est quoi, l’indépendance, au fond ? Eh bien, ce sont des jeunes gens qui ont sacrifié leur liberté et, souvent, leur vie pour que leur peuple sorte de la nuit coloniale. Ils l’ont fait pour que cesse cette exploitation qui était l’essence même du colonialisme. Et qui est encore là ! Ici et maintenant !

Arezki Metref

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