La défaite du fouet

Un monde ancien s’écroule sous nos yeux et nous en mesurons en Algérie, avec les échecs de Bouteflika, les amères désillusions : la mort d’un chimérique traité d’amitié avec la France, rêve à jamais emporté par Chirac dans sa retraite ; la cuisante défaite diplomatique sur le dossier du Sahara Occidental; l’incroyable aggravation du malaise social et du chômage qui frappe les jeunes ; la montée de la pauvreté; les ravages de la corruption sur l’économie nationale ; la dramatique persistance du terrorisme ; la déculturation…

Oui ces faillites algériennes, et bien d’autres, sont d’abord celles d’un monde ancien qui fait naufrage, un monde moribond qui a le visage, fatigué, de Bouteflika et le corps, usé, du système grabataire qui nous gouverne depuis un demi-siècle. Ce sont les déroutes d’une vieille façon de voir le monde, le désastre d’une conduite autoritaire et fermée des affaires de la nation. La défaite du despotisme. La défaite du fouet. La rançon, très coûteuse, de l’illégitimité autant que celle de l’impopularité. Le résultat du fossé qui s’est élargi entre un peuple et ses gouvernants. Le fiasco d’un régime qui ne se nourrit plus de la vitalité de sa société, de son génie, de sa force et de ses espoirs. Le régime de Bouteflika c’est, hélas pour nous, tout cela. Et rien que cela. L’homme croyait pouvoir encore faire de la “diplomatie à l’ancienne”, se suffire de sa ruse et de la qualité de ses connivences. Les derniers revers diplomatiques viennent lui rappeler deux leçons de ce nouveau siècle : d’une part que ce sont les opinions qui, de plus en plus, dictent les grandes décisions aux pouvoirs; d’autre part qu’un régime n’est écouté que s’il est fort de l’aval de sa propre société. Or, quelle image renvoie aujourd’hui l’Algérie de Bouteflika ?

L’image vieillie et détestable d’un régime ankylosé, corrompu, autoritaire, qui manie le gourdin contre ses opposants et ses journalistes, détaché de son peuple. Isolé sur son perchoir. Et c’est ce régime impopulaire et aussi asséché qu’une salamandre de décoration, qui espérait arracher une repentance de l’Etat français ? Il n’y avait que la flagornerie de Jacques Chirac pour laisser croire à Abdelaziz Bouteflika qu’il était un second Adenauer et à l’Algérie qu’elle avait le charme de l’Allemagne post-hitlérienne. Il n’y avait que lui pour donner l’illusion aux dictateurs d’Afrique qu’ils avaient encore du crédit aux yeux des Français. Le chef d’état français est d’ailleurs considéré, dans son genre, comme un symbole du monde ancien si on en juge par les articles très sévères de la presse occidentale, représentative de la nouvelle opinion européenne, au lendemain de son message télévisé. Un “champion du contrôle étatique dans les années 1970”, selon le Guardian, “Caméléon Bonaparte”, selon la BBC, “un piètre stratège mais excellent démagogue, père assassin de toute une génération d’hommes politiques de talent, qu’il a étouffés les uns après les autres”, selon le quotidien belge Le Soir. Si Chirac est ainsi vu par les observateurs européens, qu’en est-il alors de Bouteflika ? Le président algérien a cru pouvoir négocier habilement avec les vieilles recettes de Talleyrand. Le monde ne l’écoutait déjà plus. Avec le départ de Chirac s’enterre le rêve de la repentance et se noie le projet utopique de traité d’amitié. Cruelle défaite du despotisme algérien : aucun des trois successeurs potentiels de Chirac, de Sarkozy à Royal en passant par Bayrou, n’est favorable à l’idée de repentance ni ne partage la perspective d’un traité d’amitié algéro-français.

Ils tiennent, tous les trois, un discours nouveau émancipé des connivences chiraquiennes et conforme aux tendances des générations d’aujourd’hui, un discours qu’il faut savoir décrypter et utiliser au mieux des intérêts algériens et de la réhabilitation de notre mémoire. Ce discours d’une nouvelle génération, le régime algérien, déphasé, ne le comprend pas mais le roi Mohammed VI, lui, a su habilement le capter pour l’utiliser à son tour, se faire écouter, améliorer l’image du Maroc et retourner à son avantage la situation diplomatique sur le Sahara Occidental. Le ralliement de l’Espagne aux thèses marocaines est à ce point un échec consommé pour Abdelaziz Bouteflika que le président algérien en fut réduit à ne pas aborder, mardi dernier, la question du Sahara Occidental avec le roi d’Espagne, Juan Carlos, en visite à Alger.

On ne peut mieux avaler son chapeau ! Je ne partage pas l’analyse de mon ami Abdelaziz Rehabi : il n’y a pas forcément, dans cette affaire, “une stratégie visant à isoler l’Algérie”. Le régime algérien s’est aussi isolé de ses propres mains, par son autisme, son immobilisme, son obsolescence, son autoritarisme d’un autre âge et, surtout, par sa vulnérabilité, celle d’un pouvoir quasi illégitime qui ne semble guère soutenu par sa propre population. Comment, dans le monde d’aujourd’hui, un régime tyrannique et oppresseur peut-il prétendre défendre avec succès une cause de décolonisation ? Nous ne sommes plus dans la diplomatie de Boumediene. Un monde ancien s’est écroulé. Et dans le nouveau monde, le Maroc de Mohammed VI, plus ouvert, plus dynamique, plus moderne, peut-être même plus démocratique, marque des points.

Si le gouvernement de Zapatero défend avec succès la thèse marocaine auprès de ses pairs européens, c’est parce qu’il plaide la stabilité d’un Maroc familier aux générations d’aujourd’hui, c’est-à-dire d’un pays plus présent, plus moderne, plus prometteur, plus “lisible” sur le plan démocratique par les opinions occidentales. Il faut quand même reconnaître que dans un Maghreb où même la Mauritanie en vient à s’offrir de vraies élections présidentielles, avec un vrai second tour, que dans ce Maghreb-là, l’Algérie jure par son archaïsme. On ne remerciera jamais assez Ben Ali et Kadhafi d’atténuer pour nous les inattendus effets du contraste. Or, tout est là : aucun succès diplomatique ne peut, désormais, se bâtir sur les insuccès nationaux. Dans l’arène internationale, un pays n’est respecté que pour son aptitude à y donner l’image d’une nation et pas seulement d’un Etat, aussi indiscutables que soient ses allures régaliennes. L’image d’une entité cohérente, harmonieuse, soudée, forte de la cohésion entre un pouvoir et une société liés par un pacte de prospérité et de respect des libertés. On en est loin. Pour les plus indulgents de nos amis, l’Algérie de Bouteflika passe désormais pour le pays de l’immobilisme éclairé.

Si le Nobel récompensait l’inaction, notre président y serait l’imbattable favori. Car qu’est-ce que le bilan du président sinon, au mieux, celui de huit années d’inaction ? Le régime n’y a su offrir ni la prospérité ni encore moins les libertés. Deux rapports publiés en ce mois de mars, l’un algérien l’autre américain, viennent illustrer l’ampleur de la faillite du régime. Le premier est une enquête – quel bonheur de savoir que des Algériens font encore de la recherche ! – menée par des sociologues et des psychologues du Centre de recherche en économie appliquée pour le développement (CREAD). Elle indique que, dans l’Algérie de 2007, la première cause du stress est liée à la persistance du chômage que le régime n’a su ni éradiquer ni amoindrir. Nos millions de compatriotes privés de travail, donc de moyens d’existence, vivent, selon cette étude, le chômage comme “une source de troubles importants”, comme un “sentiment d’impuissance et d’affaiblissement”. Le second rapport est une étude du département d’Etat américain, publiée ce mois-ci à Washington, et qui montre qu’il existe un gouffre entre les textes généreux de Bouteflika et la réalité vécue par la population. Il confirme d’abord que la corruption continue de sévir gravement en Algérie, “en dépit des textes de loi mis en œuvre”.

Le rapport US cite, pêle-mêle, le cas de Ahmed Bourricha l’ex-wali de Blida, poursuivi par le tribunal criminel pour détournement de deniers publics et celui de l’ex-wali d’El Tarf. le recours abusif au gré à gré, le manque de transparence du pouvoir exécutif et met en exergue le fait que 80% des ministres n’ont pas fait leur déclaration du patrimoine. Le rapport est accablant pour la justice algérienne. “Bien que la Constitution protège l’indépendance de la justice, ce principe est bafoué sur le terrain”, note le document du département d’Etat. Il révèle des chiffres peu flatteurs : 60 magistrats ont été radiés pour corruption, 12 ont comparu devant le Haut-Conseil de la magistrature et 23 ont été rétrogradés pour “abus de pouvoir”.

Bâtir un autre regard

Le plus fâcheux dans l’histoire c’est qu’avec de tels déboires internes le pouvoir escompte non seulement décrocher des triomphes internationaux mais aussi s’éterniser sur le trône. Que faire ? C’est la question angoissée de nombreux lecteurs convaincus de la réalité du naufrage et qui s’alarment de ce qu’aucune bouée ne se profile à l’horizon. Il n’y en a, en effet, aucune ici, dans le compagnonnage, passif ou actif, avec un régime autoritaire, dépassé et sinistré, et qui se regarde mourir au milieu de ses vieilles vanités, dans le monde ancien. Il y en a une, en revanche, là-bas, qui nous attend dans le monde nouveau que l’on hésite encore à conquérir. Il nous suffit d’avoir le courage des choix difficiles et la patience de les féconder. Il nous suffit de formuler une politique nouvelle, émancipée, à l’écoute du monde nouveau, et de nous en tenir.

C’est la mission de ceux qui, parmi l’opposition, ont entrepris de bâtir une autre Algérie. En sont-ils vraiment convaincus ? Voilà qui nous amène aux questions qui fâchent et d’abord celle laissée en suspens la semaine dernière : faut-il participer aux élections qu’organise le pouvoir pour s’éterniser sur le trône ? Je constate d’abord qu’après un demi-siècle de votes truqués, poser la question est déjà une insulte au bon sens. Et c’est ce qu’il y a de nouveau et de frappant dans l’Algérie de 2007 : la société, qui ne manque pas de bon sens, semble en avance sur l’opposition qui est pourtant censée parler en son nom.

La société sait que les législatives du 17 mai prochain seront falsifiées tout comme l’ont été les consultations électorales qui les ont précédées ; la société sait que les élections servent à donner aux régimes totalitaires la respectabilité que leur interdisent leurs bilans. C’est pourquoi la société n’ira pas voter. Le plus spectaculaire est que ces vérités sont tellement incontestables qu’elles sont partagées par ceux qui, parmi nos opposants, se préparent à faire partie de la mascarade. Louisa Hanoune et Saïd Sadi disent s’attendre à la fraude mais avouent ne pas résister à la tentation de la parodie !

Quel terrible déclin… On répliquera, avec raison, que ces arguments, aussi pathétiques soient-ils, ont pour eux l’avantage de la franchise, ce qui n’est pas le cas de certains de mes amis des arouch ou du MDS, aile Hocine Ali qui s’apprêtent à partir aux élections pour, disent-ils, “barrer la route à la fraude et réhabiliter le suffrage universel” ! Comprenne qui pourra. En vérité, l’opposition démocratique algérienne est placée, à l’occasion de ces prochaines législatives truquées, devant trois terribles responsabilités historiques.

D’abord le choix d’accélérer la défaite du despotisme algérien et d’isoler l’intégrisme ou, à l’inverse, celui de les secourir. Ensuite le devoir d’accompagner un mouvement social contestataire qui va s’exprimer par le boycottage ou, au contraire, la tentation de le mépriser. Enfin, exploiter ou ne pas exploiter l’opportunité exceptionnelle de concevoir une politique alternative à celle du système, à celle de l’islamisme. D’entrer dans le nouveau monde. L’union des démocrates algériens, à laquelle s’épuise à appeler notre ami Bererhi, passe par là et nos opposants gloutons ont tort de la troquer contre un strapontin. L’histoire est implacable. Elle n’oublie aucune félonie. Le monde nouveau se fera, mais sans eux.

Mohamed BENCHICOU

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