Malek Haddad : du politique au poétique

Le 2 juin 1978, ce poète tirait sa révérence dans une quasi-indifférence de l’Algérie officielle. Il est vrai qu’en ces temps-là déjà, il n’était pas de bon goût de décliner une identité littéraire autrement que dans l’idiome de la mère. Depuis, l’infamie frappant les locuteurs du français a pris de l’ampleur puisque pour nos écoles, il est de plus en plus difficile de trouver des enseignants aptes à le diffuser. Ainsi, Malek Haddad, qui aurait dû mériter plus d’égards en matière de culture du souvenir, est passé comme un météore dans la galaxie des belles-lettres.

Certes, la ponctualité de quelques publicistes suppléera les silences des universitaires quand chaque année ils saisissent l’opportunité de sa disparition pour commettre dans nos journaux quelques panégyriques redondants. Or, ces «composition» de circonstance n’ajoutent rien à la connaissance de l’homme et l’œuvre tant que ne s’accomplissent pas les travaux académiques nécessaires à la mise en lumière d’un talent insuffisamment reconnu. Ceux qui eurent le plaisir de le voir travailler et qui l’ont lu à «chaud» souhaitent à leur tour d’être fixés, 30 ans plus tard, sur la véritable place qui lui revient dans la littérature nationale.

Dans son autobiographie (1), Mohamed Harbi l’évoquait incidemment mais dans des termes d’une troublante méchanceté. «(…) Militant du PCA, écrivait-il à son sujet, il fut expulsé d’Algérie et (…) vivait dans l’attente du jugement d’Aragon sur ses poèmes.» Ensuite il le décrira comme un «écorché vif, un tantinet homme de cour qui prenait plaisir à s’auto-flageller pour se punir de son manque de sens politique…».

Comme on le voit, le portrait qu’en a fait de cet historien n’est guère avantageux pour le poète sauf qu’il date d’une époque lointaine ; celle de la tourmente de l’exil et de la guerre anticoloniale. Voilà qui relativise ce jugement péremptoire qui ne concerne en aucune manière la postérité de l’œuvre mais seulement une facette de l’homme tel qu’en lui-même. Cela dit, il est par ailleurs toujours d’actualité de trancher sur la place qu’il doit occuper dans les anthologies de la littérature algérienne. Etait-il modestement un baladin des lettres ou bien un pèrefondateur parmi les autres pairs ?

C’est que Malek Haddad, contrairement à Kateb Yacine et Mammeri, posait de son vivant le même problème qui était au centre de la quête d’un certain Julien Benda à travers son ouvrage intitulé la Trahison des clercs et dans lequel il fustigeait la connivence des intellectuels avec les pouvoirs politiques. En effet, au-delà de la faible consistance de son œuvre — (Kateb ne fut pas plus prolifique) — la trajectoire de Malek Haddad est fortement connotée par une certaine «compromission » politique post-indépendance. Or, par un exercice de catharsis, sciemment encouragé, l’on a depuis 1988, voulu évacuer du champ de la réflexion tout ce qui a trait à une certaine période.

C’est-à-dire ce qui porte un tant soi peu la marque du vieux système et de la pratique culturelle de celui-ci dont à l’évidence Malek Haddad fut quelque part partie prenante. Tous les critiques friands de distinguos ne se sont pas privés d’envoyer au panthéon ces réfractaires que furent Kateb et Mammeri et de vouer aux gémonies la «docilité» politique d’un Malek Haddad. Bien plus, l’auteur de la «dernière impression» subira post-mortem une autre relégation.

Sa disparition précoce en 1978 coïncida chez nous avec la montée en puissance des courants baâthistes qui excellaient dans l’exclusion et les anathèmes culturels. Confisquant les institutions de l’Etat et l’appareil idéologique, ils étaient parvenus à contrôler, à partir de 1980, la quasi-totalité des instruments de la communication. La décennie 80 constitua précisément un tournant décisif dans ce domaine, car à partir de 1981 la presse en langue arabe devint numériquement dominante après que l’on eut arabisé en 1972 An-Nasr à Constantine et La République à Oran en 1976.

Mêmes les publications du parti unique furent dupliquées en langue nationale parce qu’il était contre-productif, en termes de propagandes évidemment, d’interdire brutalement l’usage du français. A l’Union des écrivains également, le critère de la «langue» fonctionnera comme oukase pour marginaliser les auteurs «étrangers» par l’idiome. Certains feront de la résistance un moment afin de garder des strapontins mais pour peu de temps. Écrivains alibis dans une «union» totalement acquise à l’idéologie du pouvoir, ils seront plus tard expulsés sans autre forme de procès que le cosmopolitisme de leurs œuvres. Simultanément, le système éducatif refondait les programmes avec les arrière-pensées que l’on sait.

La langue française et son usage étaient à peine tolérés. Et l’infamante accusation de «hizb frança» fera florès dans les débats polémiques. L’œuvre de Haddad, tout comme d’ailleurs celle de Kateb Yacine ou Mammeri, fut frappée d’ostracisme à la fois à l’école et dans les références littéraires. Pour la première fois, ce poète, enseveli dans sa ville natale, sera interdit de lecture. «L’exil (définitif) dans la langue française» qu’il redoutait tant de son vivant s’accomplissait après sa mort. Mais sa «peine» sera double. Car après Octobre 88 un autre sort sera réservé à son héritage poétique.

En effet, au moment où les Kateb, Feraoun et Mammeri furent à nouveau célébrés l’on passa sous silence l’existence littéraire d’un certain Malek. Aux premiers l’on reconnut leurs hauts faits de résistants au totalitarisme de la pensée unique alors qu’au second l’on retiendra contre lui sa «proximité » avec celle-ci. Ce qui, par le jeu des comparaisons, le classera dans la catégorie de «poète et écrivain officiel du régime».

C’est sûrement cette double culpabilité, à la fois linguistique et idéologique, qui ajoutera progressivement au désintérêt dont cet auteur sera victime. Lui, dont l’œuvre est incontestablement d’une grande beauté poétique tout autant qu’elle ne manque pas de sincérité mérite aujourd’hui un tout autre examen. C’est-à-dire un autre regard lavé de tous les présupposés du passé, tant il est vrai que même si ce Malek Haddad avait eu des amitiés politiques il ne pouvait pas avoir d’adversaires… poétiques.

Boubakeur Hamidechi

(1) C. F. Une vie debout Mémoires politiques (1945- 1962)

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