LA LOURDE FACTURE ALIMENTAIRE

Notre ami Mourad Boukella, professeur à la Faculté des sciences économiques et de gestion d’Alger, directeur de recherches au Cread, vient de faire un état des lieux, qui vous donne des frissons.
L’exercice se rapporte aux politiques agricoles, à la dépendance et à la sécurité alimentaire, dans le cadre des activités de la Fondation allemande Friedrich Ebert. Il permet de mesurer les dégâts occasionnés par le statut de notre pays en tant que pays pétrolier : l’aisance financière, en rapport avec l’importance des recettes issues de la vente d’hydrocarbures, a relégué au second rang «à la fois les problèmes liées au développement durable de la production agricole et la nécessaire stabilisation de la paysannerie en tant que classe sociale».

Jugée à l’aune de l’adage «qui tient son alimentation tient sa dignité», la situation est très critique. La facture alimentaire était de 4,8 milliards de dollars en 2007. Elle pourrait passer à 6 milliards US$ fin 2008 et à 15 milliards US$ en 2015. En 2007, les importations alimentaires se répartissent à peu près dans la même proportion entre les produits agricoles et les produits agroindustriels.

Les blés dur et tendre (cinquième rang mondial avec un volume de 60 millions de quintaux et une facture de 1,39 milliard $), la poudre de lait (environ 120 000 tonnes), les huiles de graines (400 000 tonnes), le sucre (1million de tonnes) et les légumes secs (200 000 tonnes) pour l’alimentation humaine, ainsi que le maïs et les tourteaux de soja pour l’alimentation animale, comptent pour environ 80% de la facture alimentaire totale.

On mesure mieux l’étendue des dégâts qui pourraient résulter d’un revirement de la conjoncture pétrolière lorsqu’on passe au peigne fin, comme le fait Mourad Boukella, la situation des filières stratégiques que sont les céréales, le lait, les huiles de graines et le sucre. La céréaliculture — dominée par le blé dur, l’orge et le blé tendre (respectivement 46%, 32% et environ 20% environ de la production céréalière totale) — occupe près de 80% de la S.A.U. du pays.

Elle est pratiquée par la majorité des exploitants agricoles. Ils en tirent les semoules et farines qui constituent l’essentiel de la ration alimentaire et nutritionnelle de l’Algérien. La consommation de semoules et farines (par habitant et par an) ne cesse de progresser : 67 kg équivalent – grains en 1961, 145 kg en 1991 et 210 kg aujourd’hui. A cette courbe ascendante de la consommation est associée une courbe erratique de la production et des rendements : 20 millions quintaux sur la période plus longue 1963-2004 (avec des récoltes exceptionnelles — plus de 40 millions quintaux — en 1995-96, 2002- 2003 et 2003-2004), pour des rendements tout à fait médiocres (moins de 10 quintaux sur toute la période 1963- 2004). Conséquence : dès 1975, le volume des blés importés dépasse largement la production locale.

Il couvre aujourd’hui 70% des quantités triturées par l’industrie céréalière nationale. Le cas de figure illustré par la céréaliculture concerne également un autre produit stratégique, celui du lait de consommation, puisque le même «schéma de croissance » est reconduit, privilégiant la logique importatrice par rapport à la recherche d’une dynamique productive interne. En 2007, l’Algérien a consommé en moyenne 110 litres par an, ration supérieure à celle du Marocain et du Tunisien. Ceci correspond à des disponibilités de l’ordre de 3 500 000 000 équivalent - litre de lait pour une production domestique de 2 200 000 000 équivalent litre.

Encore faut-il préciser que cette dernière n’est collectée qu’à raison de 10% de la consommation nationale. Le recensement des contraintes majeures qui limitent objectivement la production laitière en Algérie les établit à trois : la trop faible taille des troupeaux (78,5% des éleveurs disposent de 1 à 5 têtes au maximum), l’insuffisance chronique de la production fourragère, base de l’alimentation du troupeau (les superficies consacrées à cette culture ne dépassent pas 2% de la SAU) et le faible taux de collecte de lait cru sur une production (à peine 10 et 15% de la production).

Le troisième cas de figure concerne les filières huiles de table et sucre, filières complètement dépendantes des approvisionnements extérieurs et dont la déstructuration interne est la plus poussée. Le même sort est réservé à la filière sucre, avec l’abandon des expérimentations, pourtant prometteuses, sur la betterave sucrière dans la plaine du Haut Cheliff en 1982-1983, et la réduction de l’activité industrielle au seul raffinage du sucre roux importé. Sombres perspectives donc. D’autant que l’importance économique et sociologique encore prégnante de l’agriculture ne devrait pas autoriser à conclure, comme le font beaucoup d’analystes, à une vocation agricole de l’Algérie.

L’Algérie est plutôt un pays semi-aride avec des ressources très limitées en eau et en terre. On le voit bien : seulement 17% de la superficie totale du pays sont utilisés par l’agriculture, tandis que les terres improductives s’étendent sur 80% de ce total (Sahara et steppe). Quant à la surface agricole utile (la plus favorable à l’intensification), elle s’étend, selon les estimations les plus favorables, sur 8,2 millions d’hectares. Elle couvre donc tout juste 18% de la superficie des terres utilisées par l’agriculture et… 3% de la superficie totale du pays.

Elle se trouve concentrée, de surcroît, dans une bande étroite de plaines et de vallées du nord. Les immenses étendues désertiques du Sud rendent quasiment impossible l’extension de l’agriculture irriguée sur une grande échelle, tandis que, dans le domaine de la steppe (environ 32 millions d’hectares situés entre les isohyètes 100 et 350 mm), l’activité agropastorale se limite à un peu de céréales à rendements infimes associées à un élevage extensif de quelque 20 millions d’ovins. Au-delà de la gestion de la conjoncture, notamment des capacités d’anticipation, très limitées sinon nulles, Mourad Boukella avertit que les mesures d’urgence consistant à parer au choc extérieur en dégageant des enveloppes budgétaires conséquentes ou subventions ne sont ni suffisantes, ni adéquates, ni durables.

«Elles agissent sur les effets de la crise qu’elles cherchent à tempérer, mais ne peuvent avoir que peu d’impact sur les facteurs qui ont provoqué la déstabilisation des filières stratégiques (…) En tant que telles, les subventions ont pour finalité de contribuer à pallier les imperfections (ou défaillances) des marchés à chaque fois que les mécanismes spontanés des prix ne réussissent pas à réguler, c’est-à-dire à concilier les intérêts souvent contradictoires des acheteurs et des vendeurs. Dans le cas de l’Algérie, les subventions libérées ne peuvent jouer ce rôle : les principales filières agroalimentaires sont si fortement désarticulées qu’une action sur un maillon de la filière risque de ne pas se propager sur les autres maillons dans le sens attendu par les pouvoirs publics.

De sorte que les subventions vont peser lourdement sur les finances publiques, tout en provoquant des effets cumulatifs pervers. »

Il suggère alors de travailler sans trop tarder sur des solutions à moyen et long terme destinées à promouvoir un modèle alternatif au modèle agro-importateur. Une option qui envisage de relever trois défis :

- la préservation des terres agricoles, des parcours et des ressources hydrauliques ;
- la redéfinition des droits de propriété et d’exploitation ;
- l’articulation agricultureindustrie ;
- une autre intégration à l’économie agroalimentaire mondiale.

Aux contraintes liées au morcellement des exploitations et à l’inégale répartition des terres se greffent celles liées à l’absence de titres de propriété sur de nombreuses exploitations publiques et privées. Les terres de statut melk ne possédant pas de titres de propriété représentent plus de 70% des 777 323 exploitations indivises de ce type recensées par le RGA de 2001. Elles couvrent près de 60% des 5 857 212 ha des terres melk à l’échelle nationale. Il y a également lieu de préciser que les 150 000 exploitations du domaine public sont gérées par des attributaires qui ne disposent que d’actes administratifs au lieu et place de titres de propriété, et que les terres collectives de parcours sont toujours à la recherche d’un véritable statut depuis l’abandon du code pastoral en 1973. Au total, la réorganisation des droits de propriété, tout comme la protection et la conservation des ressources naturelles disponibles, est un vrai défi posé à l’ensemble de la communauté. Cet axe est prioritaire parce qu’il commande largement les autres défis. Lorsque le droit vient à primer …

Ammar Belhimer

Je me joins aux enseignants et au personnel de la Faculté de droit d’Alger pour présenter mes sincères condoléances à notre ami Fekhar Abdelkader, suite au décès de sa mère. A Dieu nous appartenons et à Lui nous retournons.

Comments are closed.

intelligence artiste judiciaire personne algériens pays nationale intelligence algérie artistes benchicou renseignement algérie carrefour harga chroniques économique chronique judiciaire économie intelligence chronique alimentaire production art liberté justes histoire citernes sommeil crise alimentaire carrefour économie culture monde temps
 
Fermer
E-mail It