Le zawali et le privilège du chroniqueur

L’homme me fait la demande, tout sec. Sans détour et sans fioritures. Non pas une demande qui serait une demande, un plus dans sa vie, une gâterie. Une demande. Parler des zawaliya. Qui sont les zawaliya ? Les gens comme lui. Je me retiens de lui dire que je ne parle que des zawaliya, des gens comme lui mais je réalise sur le coup, en une fraction de seconde, que j’en parle au troisième ou au quatrième degré. Même s’il m’est arrivé d’écrire sur Moulay, sur Rabiaâ, sur la sardine ou sur le prix des fruits et légumes.

Là, il me demande de parler de lui au premier degré, presque en le nommant, en parlant de sa tête carrée, de ses traits encore sans rides, de son âge intermédiaire qui fait prendre conscience des différences entre les gens, ceux qui ont une voiture et ceux qui n’en ont pas, ceux qui ont de l’instruction et ceux qui n’en ont pas, ceux qui ont la chance d’aller jusqu’au bout à l’école et ceux qui ne l’ont pas eue, etc.

Vous devinez ce mélange entre le constat des inégalités sociales et l’effort de les comprendre, de les justifier, de les dire en se trouvant les raisons de se trouver en bas. Presque en disant mais ce n’est pas une question individuelle mais de circonstance, comme cette vieille histoire de frère aîné qui doit renoncer à l’école pour permettre aux plus petits d’y réussir en aidant le père à ramasser l’argent du pain et de l’huile, comme cette histoire que c’était mal parti à la naissance parce que celui qui a les moyens et celui qui ne les a pas…

Enfin, vous connaissez toutes ces choses que vous oubliez pour pouvoir vivre sauf qu’elles vous reviennent quand vivre devient difficile. C’est curieux comme un zawali peut produire une analyse des classes sans aller jusqu’à ses extrêmes conséquences car il ne la produit que sur lui-même et au moment où elle devient vitale à sa propre survie psychologique.

Aller plus loin, à quoi bon quand n’existent ni le mouvement collectif, ni l’espérance partagée de changer pour les enfants aînés qui doivent se sacrifier pour les cadets, ni les signes avant-coureurs d’un éveil des laissés- pour-compte ? On pense à sa propre condition pour ne pas se réveiller le lendemain en regardant son bébé comme une consolation puis prendre le chemin du boulot.

Non, le zawali n’était pas plus bête, pas moins intelligent qu’un autre, c’étaient les circonstances sociales. Pas vraiment le destin, pas vraiment la fatalité, mais un peu de cela avec beaucoup de l’action de l’homme. Mais, lui ai-je demandé, qu’est-ce qu’un zawali ? Un homme comme moi, a-t-il répondu, qui n’a rien dans la tête et qui ne sait pas se gérer.

Vous vous rendez compte ? Avec tout ce qu’il m’a dit de profond, de vrai et de caché qu’il n’a rien dans le tête. A l’ami qui m’accompagnait, je murmurai : constate combien le zawali veut émerger et n’arrive pas à le faire tout à fait et n’arrivera jamais à le faire tout seul. Sans la foule de ses compagnons prolétaires.

MOHAMED BOUHAMIDI

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