Realpolitik
Un seul être vous manque et tout sera dépeuplé. Pour le sommet fondateur de l’union pour la Méditerranée du 13 juillet à Paris, ce ne sera pas le cas. Tout le monde y sera, y compris les Libyens, même si le guide de la Jamahiriya aura préféré l’ombre de sa tente caïdale, à Tripoli. Le président algérien, qui aura fait durer l’attente pour donner tout le temps aux pourparlers algéro-français, comme il l’a précisé en marge du sommet du G8 au Japon, sera également sur la photo de famille.
Et c’est un Nicolas Sarkozy, manifestement ravi, et pour cause, qui a été missionné par son homologue algérien pour l’annoncer à la presse. Ces dernières semaines, observateurs et spécialistes se sont gaussés de mots et perdus en conjectures. Ira, ira pas et à quelles conditions ? On savait -en tout cas, on en avait l’intime conviction- que le chef de l’Etat algérien n’allait pas pratiquer la politique de la chaise vide. Ahmed Ouyahia, chef du gouvernement, en phase avec le chef de l’Etat et adepte de la pesée des mots au trébuchet, avait déjà laissé entrevoir la couleur dans une déclaration où il a révélé qu’il était un politique réaliste et pragmatique.
Aux réticents et critiques de tous bords qui voyaient dans la présence du président algérien à un sommet où serait présent le Premier ministre Israélien une quasi-forfaiture, Ouyahia avait, lui, une bonne raison de souligner que les Algériens ne pouvaient pas être plus Syriens que les Syriens, encore moins plus Palestiniens que les Palestiniens. Simple question de bon sens politique. L’intérêt de l’Algérie avant tout et au-dessus de tout. Reste la question des conditions de la proclamation de la présence algérienne au plus haut niveau.
Surtout, de l’avoir fait à l’étranger et d’en avoir confié la primeur et la gestion de l’effet d’annonce au président français qui a assuré lui-même le service après-vente. C’est archi-connu, le président Abdelaziz Bouteflika a toujours eu une prédilection pour la presse étrangère quand il s’agissait de faire passer des messages importants. Encore une fois, il n’a pas dérogé à cette «règle», le président de la République française ayant servi à l’occasion de relais, heureux de l’aubaine médiatique. Et si Nicolas Sarkozy, qui a débuté la présidence française de l’UE sous de mauvais auspices et subit sans répit le désamour des Français à son égard, était enchanté à Hokkaido, il avait de bons motifs de l’être.
C’est que son homologue algérien, même si ce n’est pas la saison des étrennes politiques, lui a fait des cadeaux royaux. Le premier et pas des moindres, sa présence au sommet de Paris. Le second, celui de lui avoir accordé le bénéfice de l’effet d’annonce aux médias, notamment à la presse française, à un moment où sa cote d’amour en France est au plus bas.
Ce package de cadeaux était emballé avec un message : le chef de l’Etat algérien ne sera pas, à quelque titre que ce soit, la cause principale de l’échec d’un projet sérieusement retoqué par l’UE sous la forte impulsion de la chancelière allemande. Le président Sarkozy l’a reconnu lui-même : l’Algérie joue un rôle central et la présence de son homologue algérien à Paris sera un élément décisif pour le succès du sommet. Il pouvait donc le remercier comme il l’a fait devant les journalistes.
A ce propos, l’Algérie n’a même pas à se soucier de quelques accessits diplomatiques ou même d’un maroquin important au sein de la future UPM dont la voilure a été revue et corrigée par Mme Angela Merkel que le président Abdelaziz Bouteflika recevra fort opportunément à Alger, trois jours après le sommet de Paris. Enfin, troisième et dernier cadeau, le plus symbolique pour les Algériens : le président Bouteflika, fidèle à sa philosophie du «silenzio stampa» à l’égard des médias algériens, a confié à Sarkozy qu’il lui rendrait sa visite d’Etat de 2007 «courant 2009», c’est-à-dire l’année de l’élection présidentielle en Algérie.
Le chef de l’Etat de l’Algérie, puissance énergétique et garante de la sécurité des approvisionnements de l’Europe qui redoute la surpuissance gazière de la Russie, pouvait faire aussi ce cadeau à celui que le roi d’Arabie saoudite avait surnommé «cheval fougueux». Surtout, si cet étalon a des difficultés à s’ébrouer en politique. Justement, la politique c’est aussi le bénéfice des contreparties. Et si une des contreparties que le président algérien aurait obtenue, aurait notamment trait à la circulation des personnes et à un réajustement de la position française plus favorable au peuple sahraoui ?
Noureddine Khelassi