Le nationalisme administré

On y a pensé : les Algériens sont patriotes — qui oserait en douter ? —, mais il leur manquait des drapeaux pour l’exprimer. Alors les dirigeants de la Radio nationale ont pris sur eux, enfin… sur le budget de l’entreprise de distribuer un drapeau par foyer.

Quand le nationalisme du citoyen reçoit ainsi le soutien logistique de l’État, ou d’une entreprise publique qui s’y substitue, faut-il s’en réjouir ou s’en inquiéter ?

Les autorités estiment-elles qu’il faille, faute de patriotisme citoyen, mettre le drapeau entre les mains de l’Algérien pour qu’il n’ait plus que le choix que de s’en saisir ou de le laisser choir ? Ou bien, n’est-il pas suffisamment amoureux de son pays pour sacrifier le prix d’un drapeau ? Ou bien encore trouvent-elles qu’il n’en a pas les moyens ?

Le nationalisme est pourtant un sentiment naturel, aussi vieux que la nation, qu’elle fût petite tribu ou immense peuplade, îlot ou continent. Pas besoin d’avoir fait une guerre de libération épique pour cela ; la mémoire, les valeurs, les rêves, les projets qu’on partage suffisent à fonder le bonheur et la fierté d’être ensemble.

Le risque encouru par le nationalisme vient de l’imposture politique qui consiste à faire confondre l’autorité et la nation, le pouvoir et l’État. Les forces de l’arbitraire et de la corruption se drapent aussi de vert-blanc-rouge. Quand l’envie prend les citoyens de rejeter la hogra et la prédation, ils ne distinguent pas toujours le pouvoir de l’État. C’est le pouvoir qui, à force de manipuler le nationalisme citoyen, le met en danger.

Et là, on distribue — gratuitement — des drapeaux pour ressusciter un nationalisme du pauvre, un nationalisme des “masses” où le défilé se traduit — radio et télé uniques aidant — en manifestation de soutien à un pouvoir encore une fois assimilé à la nation ! Comme si le problème était dans la disponibilité de l’emblème national.

Pourtant, il suffit d’observer : n’importe quel quidam qui aime ne serait-ce que son club sportif, se donne les moyens de s’offrir son fanion ; comment ne pourrait-il pas s’offrir le drapeau de sa nation ?
Quand l’un s’empare des couleurs nationales, l’autre du sigle FLN, l’autre encore de la “famille révolutionnaire” pour essayer de se confondre avec eux et nous faire prendre des vessies pour des lanternes afin de disposer en toute autorité des richesses nationales, c’est une manière de déposséder le peuple de ses symboles pour mieux le spolier de son patrimoine.

La restitution des symboles de la nation à la collectivité et de sa voix au peuple suffirait amplement à raviver le sentiment national. Tant qu’ils servent de paravent à l’incompétence, à la cupidité et à l’illégitimité, ils pourraient dangereusement se confondre avec ceux qui les manipulent.

C’est “un ordinateur par foyer” qu’il fallait réussir. La nation y aurait gagné en amour des siens. Mais “un drapeau par foyer” ne compense pas l’incapacité à offrir aux “foyers” ce que leur nation est en pouvoir de leur offrir. Comme un “foyer” par famille, par exemple.

Le nationalisme est un élan individuel dont l’expression dépend du génie individuel et collectif ; ce n’est pas le nationalisme qu’il s’agit d’administrer, mais le pays. Les sentiments, chacun saura exprimer les siens.

Mustapha Hammouche

Leave a Reply

You must be logged in to post a comment.

intelligence artiste judiciaire personne algériens pays nationale intelligence algérie artistes benchicou renseignement algérie carrefour harga chroniques économique chronique judiciaire économie intelligence chronique alimentaire production art liberté justes histoire citernes sommeil crise alimentaire carrefour économie culture monde temps
 
Fermer
E-mail It