Un rétroviseur pour scruter l’avenir
Avec un millième des sommes injectées dans l’Année de la culture arabe ou dans les festivals du même type d’inutile prestige, en les orientant vers l’aide à des maisons d’édition et à des moudjahidine avec cahier des charges pour restituer la mémoire combattante, l’Algérie aurait résolu une fois pour toutes un «caillou dans la chaussure» du socle identitaire, l’écriture de l’Histoire.
Le temps presse, les historiens en sont conscients et les moudjahidine, surtout eux, ne le sont pas moins. A la veille du 5 juillet, fête de l’indépendance et, à ce qu’on dit, de la jeunesse, la question de l’écriture de l’Histoire émerge de nouveau avec plus d’acuité. Le pire serait que la société algérienne, notamment les plus jeunes, n’éprouve plus le besoin et la soif de connaître l’Histoire de la Révolution, si tant est que ce besoin ait jamais existé, vu que sans la matière à connaître, la pulsion de connaissance disparaît, ou ne voit jamais le jour.
Du côté des moudjahidine, l’on perçoit une sorte de course contre la montre, et on les voit redoubler d’efforts pour tenter, par le témoignage écrit ou la relation orale des faits, de ne pas emmener avec eux (disons-le clairement, dans la tombe qui se rapproche de plus en plus) leurs récits de guerre et ceux de leurs compagnons d’armes, vivants, chouhada ou décédés depuis l’indépendance.
Certes, il y a eu par le passé, alors que les blessures du front étaient encore vives, volonté plus ou moins déclarée de ne pas se lancer massivement dans l’écriture, la raison invoquée, qui se tient d’ailleurs, étant de ne pas raviver les plaies en y remuant le couteau, et d’éviter une prolongation de combats fratricides sur fond de révélations sur les écarts aux principes directeurs de la Révolution. Mais aujourd’hui, même ce souci s’est totalement volatilisé, le temps ayant estompé les rancœurs et les tentations de règlement de comptes et rien, absolument rien, ne semble s’opposer au recueil du maximum de témoignages sur la guerre libératrice.
Il faut reconnaître que la grande masse d’Algériens ne connaît rien de la vie de Didouche, Boumendjel, Zighoud ou Audin, ni leur origine sociale, ni leur motivation de se lancer dans la lutte, ni leurs actes de bravoure ou de résistance sous la torture, alors que leurs noms sont cités à tout bout de champ, mais juste pour désigner une rue.
En vérité, on n’y pense pas, mais écrire et témoigner est une question de moyens intellectuels, matériels et à un degré moindre financiers, parce qu’il faut que le moudjahid s’y mette, que lui-même ou un proche transcrive le témoignage, à proposer à un éditeur, qui doit être convaincu que le livre (produit marchand, ne l’oublions pas) va se vendre, et mille et un petits tracas qui, ajoutés les uns aux autres, forment une barricade contre ce devoir, et c’est à l’Etat de prendre en charge la démolition de cette barricade.
Ce devoir est à inscrire en droite ligne de la poursuite du combat au maquis et certains moudjahidine ont mis leurs moyens dans cette noble tâche, pour eux-mêmes mais aussi pour nombre de leurs compagnons de lutte.
Par bribes dans les journaux ou dans des œuvres éditées, ce genre de restitution de l’histoire libératrice, comme c’est le cas du moudjahid Ould Hocine, exemple pris parmi tant d’autres, décline au profit du lecteur une somme d’informations, les unes dramatiques, les autres gorgées de vérité humaine, qui enseignent sur la teneur d’un démenti : la lutte armée, ce n’était pas du cinéma.
En côtoyant, pas le biais de la lecture, les moudjahidine, le lecteur s’imprègne de leur bravoure, de leur incroyable solidarité, de leur sens de l’organisation, de leur lucidité tactique, parfois même de leur sens de l’honneur, le tout sur fond de valeurs humaines qu’on ne verra plus jamais, parce que seule une révolution les enfante et qu’elles disparaissent une fois l’objectif atteint. Du moins pas pour tous…
Nadjib Stambouli