Non-chronique sur des non-élections

Cette consœur française, pourtant de bonne foi, m’a piégé grave. Pour me livrer son analyse de l’élection présidentielle qui vient, en France, de porter Nicolas Sarkozy au pouvoir, elle a demandé que je lui situe, en contrepartie, comme ça vite fait, comme on sait bien le faire par chez nous, le sens des élections législatives qui viennent d’avoir à peine lieu en Algérie.

A peine ! Aïe, le coup en traître ! Devant l’atroce douleur que sa demande causait manifestement en mon for intérieur carrément ébréché par l’impertinent assaut de l’impertinente, elle a consenti cette remise : découper sa question en plusieurs petits et mignons morceaux, ce qui rend propice à faciliter les choses… Mais ça reste quand même difficile, vu que la question nodale, la question des questions, le lieu géométrique de l’interrogation est de savoir comment parler sérieusement de ce qui n’est pas sérieux du tout.

Je sais que je suis en train de verser dans la philosophie fin de série, celle qu’on expose en vitrine en paquet barré d’un pourcentage de solde : sérieux, pas sérieux, qu’est-ce qui l’est, qu’est-ce qui ne l’est pas ! On peut gloser, je sais, ad vitam eternaem là-dessus sans que le schmilblick avançât d’un iota. Elle, elle a posé sérieusement ses questions pour honorer un échange de bons procédés entre «analystes» de bonne compagnie.

Le problème, c’est que je ne suis pas en mesure de répondre tout court, et encore moins sérieusement. Pour faire semblant, j’ai demandé à examiner les questions avant d’aventurer des djawab. Première question : quelles attentes (des électeurs) par rapport aux élections législatives ? Pour plus des 65% des abstentionnistes, la réponse est : «On attend qu’elles passent, les législatives.» Cette réponse peut avoir des réponses subsidiaires :

1) «Comme ça, le terrorisme passera avec» ;

2) «On passera aux choses sérieuses, comme trouver du lait pour les enfants» ;

3) (réponse minoritaire mais qui a le doit de s’exprimer).

«Ils arrêteront leur ridicule mascarade et cesseront, jusqu’aux prochaines élections, de nous prendre pour des demeurés ». Par contre, je peux, avec peu de risques de me tromper, énumérer les trois (non) attentes des (non) électeurs algériens par rapport au (non) événement électoral. 3 non-attentes, donc :

1) « Aucun Algérien sérieux, y compris parmi ceux qui se sont présentés aux législatives, n’a pu sensément attendre un millionième de seconde qu’elles changent quoi que ce soit dans la vie politique ou sociale du pays». Cette première non-attente, cardinale, peut être un tant soit peu développée, comme dit justement un des mes confrères, analyste politique à ses heures perdues, c’est-à-dire à plein temps : «Le seul changement auquel les acteurs des législatives croient, c’est celui de leur propre statut et, partant, celui du temps et de l’espace pour consommer le pack de pouvoir auquel l’allégeance ou le dosage alchimique de marque «Quota» (excellente, surtout pour les démarrages en côte») a donné, donne ou donnera droit. Ainsi, le député sortant se battra bec et ongles, sous n’importe quelle étiquette, pour rester député et celui qui ne l’est plus depuis quelques législatures pour le redevenir un jour. Quant à celui qui ne l’a jamais été, il s’empressera de l’être une fois dans sa vie, avant qu’on ferme. On ne sait jamais : l’Algérie peut devenir un pays sérieux, avec des députés sérieux et tout, et ce sera trop tard alors.

2) Deuxième non-attente sûre et certaine : «Quelle Algérienne et quel Algérien un tantinet pondéré peut gober la funeste farce d’élections qui se joueraient sur de vrais programmes politiques (rupture autre qu’incantatoire avec un système à haute teneur corruptrice, réelles intentions démocratiques à la fois dans les partis et dans le pays, représentativité réelle qui ne soit pas synonyme de mandat pour se tailler des satrapies) et des promesses de solutions réalisables par les uns et les autres à des problèmes sociaux (la litanie, aggravée de plus en plus : chômage, manque de logements sociaux et surabondance de bidonvilles, paupérisation, corruption, pénuries ).

3) Troisième non-attente : «Que le FLN, le RND, le MSP et quelques autres partis annexes soient représentés proportionnellement à leur véritable importance dans l’électorat : c’est-à-dire craints et vomis comme on craint et vomit des viviers de prédateurs ».

La deuxième question, mon excellente consœur l’a posée telle que je la formule là : qui est encore crédible sur la scène politique ? La collègue pense, en posant la question sous cette forme, au sacro-saint temps de travail. Songez à tout le boulot que je me serais tapé si elle m’avait demandé sans pitié : qui n’est pas crédible sur la scène politique ? Tu imagines le listing ! Tandis qu’avec cette formulation, c’est fastoche comme tout.

D’abord, j’élimine les trois quarts de la petite difficulté rien qu’en laissant faire ma myopie objective : où est la scène politique ? Là-bas, derrière le grand arbre qui surplombe la salle de bains ? Bon ! Ceci dit, on ne va pas jouer les «tous pourris» commode pour le désengagement latéral.

Même en tenant compte du mirifique pouvoir de salissure du système (qui s’y frotte se recouvre de cambouis les empreintes digitales), il reste tout de même des gens crédibles. On ne les voit pas, certes, mais ils existent, mon cher ! Sérieusement, devant la déréliction qui déglingue toute vie politique dans un pays où elle se résume à l’apprentissage de la courbette devant la statue du commandeur et de ses représentants, la crédibilité est le lot de ceux qui se battent pour que les millions de travailleurs ne supportent pas le double fardeau de l’exploitation et de l’humiliation, que les millions de jeunes cessent d’avoir un seul rêve, celui de se tirer le plus possible des fatchadu 20h. Il y a des gens crédibles, oui.

Mais ce ne sont pas ceux qui essayent de nous en convaincre. Pour ceux-là, on a déjà donné. C’est là que s’embraye la troisième question de ma chère consœur. Elle me demande ceci : quelles réactions (positives ou négatives) peuvent engendrer le désappointement ? L’Algérie des trahisons gigognes est un grand corps anesthésié. Un vieux désappointement, toujours renouvelé, semble tarir toute source de réactions.

Aussi vous causerais-je, ma chère consœur, de mon désappointement personnel. Des faits qui se sont produits pendant ces législatives l’ont conforté, mon antique désappointement. Le premier est, on l’a vu sur toutes les télés occidentales, la condition posée par le président de la République de faire sortir la scrutatrice du RCD avant de voter ! A quel niveau de déni des lois joue-t-on là ? L’autre fait est cette déclaration pertinente, indiscutable et même lucide du ministre de l’Intérieur, Yazid Zerhouni, imputant le très fort taux d’abstention à la «maturité politique des Algériens». J’y souscris des deux mains : l’abstention des deux tiers de l’électorat est l’acte par lequel les Algériens signent cette maturité qui consiste à dire que nous ne voulons plus participer à ces trucs truqués.

Le troisième fait est une récurrence électorale : comme chaque fois, y’en a qui jouent et, quand on leur marque des buts, ils crient au match vendu ! Ça prend à tous les coups, ce coup ! Comme quoi, le désappointement n’est pas toujours là où vous l’attendez, chère amie ! Ultime question. Qu’est-ce qui pourrait, à l’heure actuelle, redonner à la population le sens (ou l’esprit) citoyen ? Sur le plan strictement formel, une partie de la réponse est dans une partie de la question : c’est que le sens citoyen ne répond pas quand on appelle «esprit, es-tu là ?» C’est tout bête, hein !

Ce sens citoyen se construit dans la pratique de la démocratie qui intègre le citoyen dans la prise en charge de son destin comme constitutif de celui de la nation. On en est loin ? Si loin que ça ? Pas sûr. Quand ils auront cessé leurs gesticulations, on mesurera un peu mieux le chemin sanglant parcouru sur cette voie où ils ne devraient même pas projeter leurs silhouettes tenaces, et toujours aussi inquiétantes.

Arezki Metref

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