Djaout par les mathématiques

Même quand il rédigeait un écrit purement journalistique, il tenait à se ressourcer dans l’univers des mathématiques, entendez certains signes et symboles qui lui permettaient de faire des traversées inattendues.

Il avait une certaine prédilection pour les signes d’opposition qu’il exécutait à sa manière comme s’il s’agissait d’une graphie chinoise ou japonaise. Il m’arrivait parfois, aussi, de lui demander la signification de tel signe ou autre sans trop insister sur le pourquoi de ces bifurcations mathématiques qui lui étaient propres. En fait, il les formulait selon l’inspiration de l’instant.

Du reste, ne dit-on pas aujourd’hui que les signes mathématiques qui se créent, annuellement, de par le monde, sont à dérouter les plus avertis des mathématiciens ? Tahar Djaout était poète-mathématicien, ou mathématicien-poète puisqu’il a fait une licence de mathématiques à l’université d’Alger. Certes oui, on n’écrit peut-être pas directement un poème en s’appuyant sur « le nombre d’or », comme le font certains peintres et architectes, ou sur la théorie des ensembles, cependant, les mathématiques auront déjà pris leur place dans l’univers du poète.

Ses alambics intérieurs n’ont de cesse de faire un travail que lui, seul, serait en mesure d’en connaître les tenants et les aboutissants. Ce dont je puis certifier, c’est que Tahar Djaout —ces écrits en témoignent — tâchait de ne rien mettre dans sa poésie et dans sa prose que son lecteur ne pouvait pas comprendre ou apprécier.

En relisant ses poèmes de temps à autre, je ne puis m’empêcher de leur trouver un certain voisinage avec ceux de Paul Valéry, autre poète-mathématicien, plutôt qu’avec ceux d’autres poètes tout simplement lyriques. Les chercheurs d’os, Les Vigiles, L’arche à vau-l’eau, Les rets de l’oiseleur, Solstice barbelé et autres écrits journalistiques en disent long sur l’heureux mariage entre mathématiques et création poétique.

Tout y est précis, sculpté et sans fioritures. C’est pourquoi, il serait plus juste d’aller chercher Dajout dans ses écrits pour mieux apprécier l’homme qu’il fût. Et même si, parfois, l’œuvre n’arrive pas à expliquer l’homme tel qu’on le dit de nos jours, il n’y a qu’a s’y appliquer car la formation de mathématicien transparaîtrait, inévitablement, dans le comportement et la production du poète.

Tahar, lui demandai-je par un jour de 1975, alors que nous étions attablés à la cafétéria de l’université d’Alger, pourquoi tous ces signes booléens alors que la poésie se refuse à tout ce qui est exacte ? Et lui de me répondre d’une voix qui n’était pas loin de celle de Mouloud Feraoun, venu en visite à notre école, en 1959, au quartier de Fontaine Fraîche : « cela m’aide à rassembler les extrêmes ! » Je savais, alors, qu’il préparait une licence de mathématiques, et je connaissais, déjà, un brin de sa poésie et de son comportement de poète.

Tahar rêvait d’une « ribambelle de choses », qui pouvaient se distancer les unes des autres, mais, qui en même temps, témoignaient que sa manière de réfléchir et d’agir n’avait vraiment rien de commun avec celle des autres poètes lyriques.

Merzac Bagtache

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