La jungle et le zoo

A l’initiative de la FAO, les riches et les pauvres se sont encore retrouvés hier, face à face, dans la capitale italienne pour évoquer la crise alimentaire mondiale qui affecte depuis des mois des centaines de millions d’êtres humains. 193 pays, aux intérêts manifestement contradictoires, participent à ces assises de la faim et de la malnutrition. Plus de 50 chefs d’Etat ont effectué le voyage de Rome afin d’exposer leurs visions sur ce dossier explosif et défendre, bec et ongles, les politiques agricoles de leurs pays respectifs.

La question est, en effet, très sensible dans la mesure où elle représente une source potentielle de conflits et d’instabilité. Comme de coutume, les puissants du moment brandiront la «paresse» légendaire des pays pauvres pour expliquer cette famine. Ces derniers, de leur côté, tenteront de s’expliquer en évoquant des phénomènes naturels comme la sécheresse, le dérèglement climatique ou les criquets voyageurs. Les plus audacieux oseront aborder quelques questions sensibles, mais néanmoins secondaires, comme les biocarburants, le dumping ou le protectionnisme agricole.

Les premiers échos qui nous parviennent de ce forum romain laissent entendre que l’on s’achemine vers une aide humanitaire d’urgence au profit des 36 pays les plus touchés par cette calamité. Pas beaucoup, juste de quoi atténuer temporairement leurs souffrances présentes. En guise de recommandation, on conseille d’ores et déjà aux pays du Sud d’aider leurs petits paysans et d’encourager les cultures vivrières in situ pour créer une production locale suffisante au lieu de tendre indéfiniment leurs assiettes vers le Nord.

Sinon, tous les participants campent sur leurs positions et la source du mal reste intacte. Le Brésil, premier producteur mondial de biocarburants, réfute la thèse selon laquelle cette industrie serait à l’origine de la flambée des produits alimentaires. Il rejette la balle dans le camp des superpuissances du Nord qui, dit-il, protègent à coups de grosses subventions publiques leurs gros agriculteurs au détriment des petits paysans du Sud.

Le Nord, quant à lui, estime que les pauvres doivent retrousser leurs manches pour combler à, moyen et long terme, le vide qui les sépare de la prospérité. En réalité, c’est tout le système économique mondial qui est à revoir. La mondialisation économique et financière, qui profite exclusivement à une minorité de prédateurs, est fondamentalement injuste. Elle favorise l’extension des zones de non-droit, le pillage de la planète, la spéculation et la criminalité internationale.

Même les Etats ont du mal à lui résister. Elle leur a forcé la main à travers la BM et le FMI, et au nom de la démocratie et des droits de l’Homme, à accepter la privatisation systématique des services publics, le démantèlement des droits sociaux et des systèmes de protection collective, la baisse des salaires, la dégradation des conditions de travail, etc. Le mal est à ce niveau. On retombe, ainsi, dans la vieille controverse opposant les droits socioéconomiques et culturels de l’homme par rapport aux droits civils et politiques.

Les regards croisés, des pauvres et des riches, à Rome, résument toute cette problématique. Lors de l’élaboration de la déclaration universelle des droits de l’Homme en 1947, l’Ouest disait : «Nous voulons des hommes libres, pas des esclaves bien nourris.» L’Est rétorquait : «Même les hommes libres peuvent mourir de faim.» Ne pourrait-on donc jamais concilier les deux pour le bien-être de tous ? Dans la jungle ou dans le zoo, chantait Jean Ferrat pour dire toute la difficulté du choix.

Un titre inspiré à l’artiste par le cinéaste tchèque Milos Forman en transit entre Prague et New York où il a vécu, en lui disant : «Moi, maintenant, je vis dans la jungle et bientôt je vais retourner dans le zoo.» L’univers du socialisme bureaucratique est ici symbolisé par le zoo, et le monde mondialisé dans lequel nous vivons aujourd’hui représente la jungle. Dans les deux cas, l’homme n’est qu’un animal livré aux gardiens chefs dans l’un, aux prédateurs dans l’autre. Robert Mugabe et Gordon Brown incarnaient, hier à Rome, ces deux univers-là.

Kamel Amghar

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