Des bonimenteurs en rase campagne
Ils sont émouvants ces forçats de la bonne parole. Contraints de voyager en pleine cambrousse, l’on attend d’eux qu’ils déclament les vertus du vote et réclament du jobard qu’il porte son choix sur l’hôte local qui leur sert de cicérone. Ainsi va la mission de tous ces leaders auto-proclamés. Celle qui consiste à jouer aux bonimenteurs de souk afin de faire accroire que l’on peut marchander en politique.
«Venez par ici bonnes poires, suggèrent-ils, il est possible que demain l’on rasera gratis… Souvenez-vous, grande tribu, que c’est grâce à nous que l’on a découvert les matins de la liberté… N’oubliez pas citadins de vieilles souches que nous plaidons d’abord pour votre urbanité… Et vous «arraches» (ce qui est différent des arouchs), comment oserez-vous attenter à votre honneur si vous n’envoyez pas aux assemblées ces gens qui portent votre identité ?»
Nos hommes politiques voyagent donc comme ils peuvent. En rase campagne ils accomplissent des pensums, lesquels sont autant de mensonges vénaux dont ils savent que la petite chronique locale oubliera vite. Il est vrai que le propos immédiat, c’est-à-dire la flatterie courtoise destinée à ces «blédards» oisifs est tout juste bon pour maquiller sa propre indigence politique. Et c’est ainsi que dans ce pays de grande tristesse l’on a découvert, la semaine passée, qu’il n’y avait pas forcément que du cynisme et du calcul chez nos élites. Il y aurait, paraît-il, même un brin de poésie et une tendresse bucolique chez certaines d’entre elles.
La presse, si friande en anecdotes, n’a-t-elle pas rapporté ces épanchements de tribune qui ne valent que leur pesant de démagogie ? A tout seigneur tout honneur, la palme de la meilleure digression ne consacrerait- elle pas ce philosophe et littérateur que fut Redha Malek avant de découvrir les bienfaits de la politique ? Lui qui avait rendez- vous avec la circonscription électorale de Tiaret a quand même jeté un regard sur la rusticité chaleureuse de Aïn Dheb jusqu’à l’évoquer lors de son meeting. Ce n’est quand même pas rien par rapport à la sécheresse des autres rebouteux de la politique.
Redha Malek a lui la larme à l’œil et le cœur qui bat la chamade lorsqu’il «contemple ces plateaux (…) marqués d’une couleur paradisiaque» (1) sauf que dans ces territoires céréaliers ça ne mange pas de pain même si, artistiquement, le tribun en avait fait un argument pour dénoncer la famine et le chômage. Même les anges vieillissent et l’angélisme fatigue quand il prétend témoigner au nom du peuple alors qu’il fait la courte échelle aux ordonnateurs du mensonge institutionnalisé. «Cessons de mentir au peuple», se révolte ce respectable patriote après avoir constaté que l’humanité de Aïn D’heb n’avait que faire de ses paysages idylliques tant qu’elle avait le ventre creux. Mais que n’a-t-il pas exprimé autrement sa sentence ? Car en la matière, il fallait designer sans précaution les menteurs et surtout s’en démarquer.
Le président de l’ANR est sûrement sincère chaque fois qu’il s’exprime mais, hélas, il est trop timoré pour oser mettre des noms sous chaque forfaiture démocratique et dénoncer tous les délits à l’origine de notre régression. Il est vrai que l’on la probité politique que l’on peut et que la parole de Redha Malek n’est finalement pas la moins mauvaise. Glissons… Glissons effectivement pour se rapprocher de la quintessence de l’imposture en campagne électorale. Ah ! Ce faussaire de Ouyahia qui, à partir de Mostaganem, nous réinvente la «résistance républicaine » après avoir désarmé, en tant que Premier ministre, l’unique bouclier qui préservait l’Etat. Grand démagogue devant l’Eternel, il est toujours en première ligne pour critiquer ceux qui sont critiques et en même temps «botter en touche» (comme on dit dans le jargon sportif) chaque fois qu’il s’agit de ses basses œuvres. Il est tout à fait génial ce faux chef de parti qui a attendu dix ans pour découvrir que le pouvoir d’achat de l’Algérien était une insulte à la dignité.
Lui qui pensait que l’impopularité en politique était un gage de rectitude et un investissement à long terme pour la carrière le voilà revenu à de meilleures appréciations, c’est-à-dire à des calculs étroits et immédiats. Agitateur politique en goguette, il ne perçoit désormais plus l’état de la société avec la même lorgnette qui guidait sa gouvernance. Etonnante conversion qui lui fournit un indécent aplomb pour disserter sur les salaires et les aides de l’Etat alors qu’il fut à l’origine de toutes les fins de non-recevoir aux doléances sociales. Phraseur impénitent, autant dire un bavard sans ancrage doctrinal, il est effectivement l’archétype du rebouteux politique. Prescripteur de solutions, il s’en est toujours lavé les mains des errements au prétexte qu’il exécute les programmes des présidents successifs.
Le RND est à son image, qui n’est rien d’autre qu’une agence pour intérimaires postulant à quelques promotions ou quelques recyclages. Petits voyous locaux en liste d’attente pour accéder à des mairies ou bien des ministres médiocres qui courent après quelques immunités parlementaires. La boutique de Ouyahia ne vend que ce produit- là, quant aux bonnes mœurs politiques il faut peut-être les chercher dans d’autres officines. A ce propos, il ne reste d’autres choix, pour les «accros» des urnes, que quelques éventaires où un semblant de scrupule fait office de feuille de vigne idéologique.
Il faut donc se tourner vers les Sadi et Hanoune chez qui l’on peut encore écouter cette petite musique d’opposants même si elle est interprétée sur le mode «pendulaire». Ah ! Cette pendule qui dit oui qui dit non… au pouvoir. Même si l’on sait que ce denier leur dit : je vous attend. Louisa Hanoune en conjuguant la menace étrangère à la compromission de quelques caciques nationaux ne prétend expliquer l’échec du pays qu’en termes économiques. Exercice de haute voltige qui évacue la dimension doctrinale de la république. Celle qui doit faire la distinction entre ce qui relève du profane (c’est-àdire l’Etat) et ce qui a trait au spirituel (le sacré) et qui est du domaine personnel. Sant’Egidio demeure donc son enseigne politique. Quant au brillant rhéteur qu’est Saïd Sadi, il n’est remarquable que par la facture de sa prose. Acérée et lyrique à la fois, elle ne fait sens qu’à l’entendre seulement. Car à l’arrivée, ce personnage et son parti se refusent à l’autocritique et cultivent la victimologie comme une finalité idéologique.
En fait, ce républicain de bonne réputation n’a de tort que son ambition à être exclusif. Parce qu’il s’est toujours voulu rassembleur… autour de lui, il a fini par faire le vide dans son pré carré. Aujourd’hui, il revoit à la baisse son destin et ne postule qu’à une visibilité politique quitte à sacrifier en chemin quelques vieilles convictions. A-t-il fait le bon choix de s’impliquer dans cette recomposition téléguidée par le régime ?
Il n’y a pas de certitude sur la question tant il est certain que les Sadi et Malek sont un tant soit peu au-dessus de sombres soupçons qui, par contre, accompagnent ceux qui, depuis 1999, sont allés à la soupe et ne demandent aujourd’hui qu’à se restaurer à nouveau. Belkhadem, Ouyahia, Aboudjerra et bien d’autres connaissent les règles du jeu et ne se préoccupent guère de ce qu’il en coûte à cette société en déficit démocratique dont ils sont délictueusement coupables. Il est vrai que la vocation de bonimenteur ignore d’abord la morale.
Boubakeur Hamidechi
– Lire les comptes-rendus des meetings dans Le Soir d’Algérie, Liberté et El Watan du jeudi 10 mai.