Le procès de la colonisation
Demain c’est le 8 mai. C’est la commémoration du 63e anniversaire du massacre de 45.000 Algériens par les colons français. L’événement fait l’objet, chaque année, d’une attention plus que particulière. Comme si l’on voulait occulter toutes les autres horreurs subies par le peuple algérien tout au long des 132 ans de colonisation. Comme s’il ne fallait retenir que cet événement dans l’histoire de la domination française en Algérie. Ce n’est pas seulement le 8 mai 45 qui est «une tragédie inexcusable».
C’est toute l’expédition de 1830 devenue colonisation puis annexion pure et simple avec son lot de razzias, d’enfumades, d’expropriations arbitraires, d’asservissement, de spoliations, de racisme, de liquidations sommaires et on en passe, qui sont inexcusables. De 1830 à 1954, la France n’a-t-elle que le 8 mai 1945 à se reprocher? N’a-t-elle pas bien d’autres cadavres sur la conscience?
Après le discours de l’ambassadeur de France à Guelma, la semaine dernière, M.Abada, le responsable de l’Organisation des moudjahidine, a réclamé des dommages à la France. C’est la première fois qu’une voix officielle aborde le sujet sous cet angle. Sauf que cette demande a été étouffée dans l’oeuf. Aucun autre média ne l’a reprise. Ni ici, ni là-bas. Tant mieux, car M.Abada aurait dû parler de tous les dommages qui jalonnent un siècle et demi d’occupation.
L’histoire de la colonisation et des dommages qu’elle a causés aux Algériens part de la prise d’Alger en 1830 jusqu’à l’incendie de la bibliothèque de l’université d’Alger en 1962. Personne n’a le droit de la «saucissonner» comme on tente de le faire. Certes, il faut se recueillir lors de la commémoration de certains épisodes de cette longue nuit.
Mais focaliser sur une ou deux dates uniquement est simplement scandaleux. Les Algériens devraient éviter ce piège savamment entretenu, comme actuellement le débat au Parlement français sur les archives ayant trait à la colonisation. Il faut nous prendre par la main et écrire nous-mêmes notre histoire.
L’idée d’une écriture conjointe, entre Algériens et Français, de cette histoire qu’essayent d’avancer certains, relève de la plus grande malhonnêteté intellectuelle. Le bourreau et la victime peuvent-ils s’associer pour écrire une même histoire? Si l’on veut que les consciences s’apaisent, il est impératif de s’imposer le devoir de vérité.
Pour y arriver, ce n’est ni par la repentance, refusée d’ailleurs, ni par la volonté de tourner la page, même sans la déchirer, que nous obtiendrons les conditions pour des relations sincères. Il faut un procès. Comme celui de Nuremberg. Pour mettre fin à tous les pics d’arrogance -comme le concept de la colonisation civilisatrice- qui sont servis périodiquement et qui attisent plus la rancoeur qu’ils ne concourent à la paix des esprits.
Zouhir MEBARKI